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prison militaire de l’Abbaye, il écrivit « cinq à six lettres » qui furent remises au gouverneur de Paris. Deux de ces lettres seulement sont connues : elles valent d’être reproduites :


Très chers mère, frère et sœur. Votre Charles vous fait ses adieux ; consolez-vous de sa perte ; il sera dans peu d’heures plus heureux que vous, et s’il a un regret en quittant cette vie, c’est, Dieu le sait, celui de vous y laisser sans avoir pu vous faire du bien... Soyez heureux s’il est encore possible que vous le soyez ; pensez à moi quelquefois et surtout ne vous laissez pas abattre par la douleur. Vous avoir quittés huit ans, revenir, s’entrevoir, et se quitter pour toujours ! Plus heureux que vous je vais revoir notre père... Ah ! ne craignez rien, je saurai mourir comme il l’a fait... Adieu ! Je n’ai plus qu’un moment à vivre et il faut vous quitter. L’idée d’une mère, d’un frère et d’une sœur éplorés m’attendrissent ; il faut cependant s’y soumettre et rassembler toutes vos forces pour supporter cette dernière épreuve ; elle est terrible. Adieu encore. Embrassez bien tous nos parents et amis qui s’intéressent à mon sort ; n’ayant jamais eu d’ennemis, je n’ai rien à pardonner, et je demande le pardon de ceux que j’ai pu offenser ; j’acquitte entièrement de ma mort les personnes qui m’ont chargé de venir ici ; elles ignoraient le danger, trompées par de vils scélérats qui se font un jeu de la fourberie ; j’en suis la victime... Adieu, chers et bien-aimés parents. CHARLES SAMUEL VITEL. De l’Abbaye, le 4 avril 1807.


La seconde lettre est destinée à son cousin Auguste Borel : elle contenait la première qu’Auguste était chargé de remettre à Mme Vitel.


Mon cher ami, si les 20 louis que je vous avais demandés, appartenant à ma mère, ne sont pas livrés, je vous prie de ne pas le faire et de les lui rendre ; vous lirez l’incluse et vous apprendrez la cause qui épargne cette somme à ma pauvre mère ; consolez-la, mon cher ami, puisque je ne puis le faire qu’en l’affligeant ; aidez-la à supporter ce nouveau malheur, et croyez que votre cousin vous en conservera une reconnaissance dans l’autre monde, comme dans le peu de temps qu’il a à rester dans celui-ci... Adieu ; dans une heure, dans deux au plus tard, votre cousin aura rejoint son père. Ch. S. VITEL. De l’Abbaye, 4 avril 1807.

Je vais dîner, mon cher ; une troupe de peuple est sous ma fenêtre, regardant la victime qu’on apprête pour le réjouir ; je vous assure que jamais je ne me suis trouvé à pareille fête ; mais on apprend tous les jours quelque chose ; demain, plus bas, je n’apprendrai plus rien ! Il me souvient qu’un capitaine anglais me dit dans l’Inde : Poor Vitel,