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Si M. Maurice Barrès n’était pas prêt à donner pour cette lettre tous les plus élogieux articles qu’a pu lui valoir son œuvre littéraire, il nous aurait bien amèrement trompés sur lui-même.

Mais si importants qu’ils soient, les problèmes d’organisation matérielle ne sont pas tout à la guerre. La guerre est, au fond et essentiellement, une affaire d’âme, et à qui rêve d’en embrasser tous les aspects et d’en égaler par la pensée et par l’expression l’infinie complexité, on ne saurait souhaiter une âme trop riche, une capacité d’émotion trop vibrante. M. Barrès était trop poète pour ne pas sentir quelle incomparable matière il y avait là pour lui dans le spectacle et la méditation quotidienne de cette guerre d’apocalypse qui se déroulait sur tant de théâtres, qui mettait aux prises tant de peuples divers, et d’où allait surgir tout un monde, et il ne s’est refusé à aucun des motifs qui venaient assaillir son imagination et son cœur. Il a multiplié les « visions de guerre, » visions triomphales ou visions douloureuses, visions angoissantes ou visions joyeuses ; il a ramassé à pleines mains toutes les images d’épopée qui, chaque jour, s’offraient à lui :


C’est un paysage matinal, un ciel d’or, d’argent et d’azur. Août 1914 ! Sur les coteaux, le clairon retentit : au milieu des vignes et des bois, le drapeau tricolore s’avance ; l’Alsace entonne la Marseillaise. Les fers de l’Alsace sont rompus. Déroulède, nous sommes à Mulhouse ! Vive la République française ! [1]


Voilà l’entrée en Alsace. Et voici, durant les tragiques journées de la Marne,


Ce vaste Paris de septembre, quasi désert, muet, attentif, et qui ne fut jamais plus délicat, plus noble, plus aimé que dans ces heures de solitude et de péril. Comme il était exposé ! Quelle proie il faisait, sous le charmant soleil de septembre ! Son silence surtout était prodigieux ! On allait indéfiniment, sans lassitude, avec l’amitié la plus vive, le long des avenues désertes. Les passants fraternisaient, échangeaient leurs raisons de confiance [2].


Comme toutes ces notations sont d’une fine exactitude ! Et quel est celui d’entre nous qui, tandis que la victorieuse bataille faisait rage, n’aurait pu signer ces lignes ?

  1. L’Union sacrée, p. 38.
  2. Sur le chemin de l’Asie, p. 44.