Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/905

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Hier, à Versailles, en voyant la majestueuse solitude du palais, des eaux, des statues et des bosquets centenaires ; ce matin, en traversant les cours du Louvre où dorment les joyaux du génie humain, je sentais se former en moi une ardente prière de gratitude et d’amitié pour ceux qui travaillent à vaincre, pour ceux qui donnent leur sang, capable d’engendrer de nouvelles merveilles, afin de protéger, de sauver le trésor hérité des siècles. Et ma prière, où pouvait-elle aller, quand tous veulent être anonymes ? Vers toi, ô ma patrie, mère de nos défenseurs [1].


Et voici, dans leurs tranchées, les « saints de la France :


Ils sont tout roides, à cause de leurs nombreux vêtements épais et de la boue séchée qui les enveloppe d’une sorte de carapace. Quelques-uns ont sur le dos des sacs vides en grosses toiles ; d’autres s’abritent sous des morceaux de tôle plissée, qu’ils appuient aux deux parois de la tranchée. Cette vie de lutte fait briller leurs yeux dans leurs visages broussailleux, en laissant sur tout leur être une vague expression de sommeil. Ils m’écoutent avec la charmante politesse naturelle des paysans et avec un bon sourire [2].


Veut-on assister maintenant à un service pour les morts, sur le front de Lorraine ?


Qu’on se représente la scène. Quelques centaines de soldats, massés autour d’une tombe longue de trente mètres et ornée de drapeaux, de pauvres bouquets et de faisceaux d’armes. A la tête de cette tombe, deux groupes, l’un de paysans sinistrés, l’autre d’officiers et de religieuses, encadrant un autel où monte un prêtre. Il s’incline et ses vêtements sacerdotaux laissent voir son pantalon rouge.

Le prêtre-soldat ! figure étonnante qui réapparaît à de longs intervalles dans l’histoire de France, évêque des chansons de geste, moine guerrier des croisades, curé de 1914 : homme en qui résident deux mystères, et qui dispose d’une double puissance pour nous émouvoir. Toutes les têtes se découvrent, toutes les figures se contractent. Et tandis qu’il procède au service divin, chacun se livre aux songeries du cœur. Nous revivons les grands âges primitifs et purs de notre race. Le mensonge s’enfuit ; les rites redeviennent capables d’élever, d’emporter les esprits dans le ciel. Au lointain, le canon tonne ; nos villages ruinés sonnent leurs cloches malheureuses. Et quand, au

  1. L’Union sacrée, p. 156.
  2. Les Saints de la France, p. 122-123. — Cf. dans Sur le chemin de l’Asie, p. 114, une magnifique évocation des hécatombes allemandes de l’Yser.