Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le jour de curieux et vivants portraits des principaux peuples engagés dans le tragique conflit. Le fervent « amateur d’âmes » qu’il n’a jamais cessé d’être a voulu profiter de la prodigieuse expérience psychologique qui était instituée sous ses yeux ; et de son œuvre de guerre, on peut dégager, il a dégagé lui-même un certain nombre d’enquêtes morales du plus haut intérêt sur nos amis et nos ennemis, enquêtes dont il y a lieu de grouper et de consigner les résultats.

Sur le compte de l’Allemagne d’abord, on pourrait s’attendre à ce que l’auteur de Colette Baudoche s’exprimât sans la moindre espèce d’indulgence. Et, de fait, nul n’a mis plus fortement en lumière sa brutalité, son orgueil, sa voracité, sa lourdeur têtue, son manque absolu d’esprit de finesse. Mais la vivacité du sentiment patriotique ne le rend pas aveugle aux qualités de nos adversaires. Il voit dans l’idéalisme monstrueusement dévoyé de l’Allemagne, dans l’imagination colossalement irréelle où elle s’abandonne, l’origine de son funeste impérialisme ; mais il est trop poète pour condamner sans rémission l’imagination et l’idéalisme. Un jour, à propos d’une page testamentaire qui avait été trouvée sur un Allemand blessé, il se livre à de très suggestives réflexions sur « ce reître du Nord » qui, « près de mourir sous les peupliers de France, » « refait de la poésie nébuleuse de Germanie. » Mais la Prusse a corrompu l’Allemagne ; elle a gâté ses dons les plus précieux, « Guérissons des malades... Le Rhin est un vieux dieu loyal. Quand il aura reçu des instructions, il montera très bien la garde pour notre compte et fera une barrière excellente à la Germanie. Vous verrez, nous nous assoirons comme des maîtres amicaux sur la rive du fleuve, et nous ranimerons ce que la Prusse a dénaturé et dégradé, mais qui était bien beau. Nous libérerons le génie de l’Allemagne qu’ont aimé follement nos pères. »

En attendant le salutaire démembrement de l’unité allemande, il faut battre le Hohenzollern. A cette suprême croisade, la France a convié le monde qui, de proche en proche, a répondu à son appel. C’est l’Angleterre qui, la première des grandes puissances non alliées, s’est vaillamment rangée à nos côtés. Elle a fait pour nous secourir, — et pour se secourir elle-même, — un magnifique effort dont jamais l’Allemagne ne l’aurait crue capable. Cet effort, à deux reprises, en 1915 et en 1916, M. Barrès