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il a préparé l’avènement de l’heureuse dictature de M. Clemenceau [1]. Et pareillement, il n’a rien négligé pour préparer l’opinion aux revendications que la France aurait à faire valoir lors des négociations du traité de paix.


Quand je rêve, ou plutôt quand je réfléchis, — écrivait-il, — je me vois surtout m’allant promener librement à Luxembourg, où j’ai déjà des amis, et plus loin, dans ces belles villes de Trêves, de Coblence et plus bas encore, pour y faire aimer la France, car ces populations auront à choisir de se rattacher à nous et de partager fraternellement notre existence, ou bien de garder leurs destinées propres sous la garantie d’une neutralité perpétuelle.

Il ne peut plus être question, au long de la charmante Moselle et sur la rive gauche du Rhin, d’aucune souveraineté de Bavière, ni de Prusse, d’aucune pensée pangermaniste. Nous voulons la paix du monde, la sécurité pour nos fils et pour nos petits-fils [2].


Hélas ! ni M. Wilson, ni M. Lloyd George n’ont voulu entendre la sagesse politique de ce langage. Puissent nos enfants n’avoir pas à se repentir qu’on ne l’ait point écouté !


II

Les nations de l’Europe,— écrivait, dès le 1er mars 1915, M. Barrès, — sous le regard de l’univers attentif à cette grandiose tragédie, sont appelées depuis six mois à faire valoir les titres de leur puissance. Allemagne, que veux-tu ? Ton orgueil, justifie-le ! Et vous, noble Belgique, Russie, Angleterre, France ? Le monde a suspendu ses jugements et décidé qu’il allait connaître à l’épreuve ce qui est admirable [3].


Rien de plus juste que cette observation. Pour les peuples comme pour les individus, la guerre est une grande épreuve, dans toute la force et dans tous les sens du mot ; elle met à nu le fort et le faible de chacun ; elle déclasse et reclasse les valeurs morales suivant leurs titres d’authentique noblesse. Ce reclassement des vraies valeurs ethniques, M. Barres s’y est souvent exercé dans ses articles de guerre, et il a pu composer au jour

  1. Voyez, dans les Tentacules de la Pieuvre, les pages intitulées : En regardant au fond des crevasses (p. 73-154).
  2. La Croix de guerre, p. 896, 345, 305.
  3. De la sympathie à la Fraternité d’armes : les États-Unis dans la Guerre, Alcan, 1919, p. 1.