Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/913

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle a déployé une activité admirable qui se manifeste aussi bien à Oxford qu’à Sheffield et à Portsmouth. « Ce grand peuple sérieux » n’a pas « réalisé » du premier coup l’œuvre immense à accomplir ; mais une fois qu’il l’a conçue, il s’y est énergiquement attelé, et il la conduira jusqu’au bout. Pour mesurer sa puissance, plus encore que ses formidables usines, c’est sa flotte qu’il faut voir de près. M. Maurice Barrès a eu l’heureuse fortune de survoler en hydravion, — l’hydravion de la bataille du Jutland, — l’escadre anglaise : « Ces côtes couvertes de forêts profondes, écrit-il, et ce manteau bleu de la mer semé des abeilles la flotte, et puis, à mesure que l’on monte, cet isolement dans les vastes espaces tout près du ciel, quel enchantement, quelles minutes de spiritualité !... De ma vie, je n’aperçus rien d’aussi grandiose que, depuis le ciel, cette flotte aux aguets, dans un repos terrible, sur cette mer d’Ecosse. » A cette date, en effet, rien ne valait pareille vision pour enfoncer en nous le sentiment de notre sécurité et de notre inéluctable victoire.

Ce sont d’autres images, non moins émouvantes et réconfortantes, que l’auteur de la Mort de Venise était allé, deux mois auparavant, cueillir en Italie. « Vieux pèlerin des routes d’Italie, » il avait été invité par ses amis italiens à venir passer quelques jours au milieu de leurs armées. Là, il put toucher du doigt les redoutables difficultés que la nature et l’histoire avaient opposées à l’effort militaire de nos alliés et le mérite qu’ils avaient eu à entrer en guerre à nos côtés. L’amitié franco-italienne a procédé par étapes, car le propre du prudent génie italien est de ne rien brusquer, de ménager les transitions, et, d’autre part, en 1914, l’Italie était, aussi peu que possible, matériellement et moralement, préparée à la guerre. Il fallut créer de toutes pièces l’instrument de la définitive libération italienne : la maladresse et la brutalité tudesques, la générosité de l’héroïsme français firent le reste : la Marne, Verdun déterminèrent au delà des Alpes une ferveur d’émulation dont la cause alliée ne pouvait manquer de bénéficier. L’Italie sentit que, dans un conflit où l’idée latine risquait de sombrer, elle se devait à elle-même de participer pleinement au péril commun : elle « se bat, — constate M. Barrès, — pour l’accomplissement de ses destinées nationales, c’est-à-dire pour s’assurer les frontières dont elle ne peut pas se passer, et puis pour la défense de la civilisation. » Reçu par le Roi, — « saisissante figure, bien