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inattendue au cœur de cette Italie théâtrale et pleine de feu, » — il a été frappé de « la supériorité morale » de ce souverain sérieux, sage, délicat et bon, et il songe tout naturellement, en le voyant, à « cette conception des devoirs princiers dont notre Louis IX a créé le type incomparable. » « Je crois, déclare-t-il, avoir respiré quelque chose de cette atmosphère inoubliable de courage et de douceur, d’humilité simple et grande, de mélancolie profonde et touchante. » Et il note, d’autre part, chez les officiers, lesquels « demeurent d’une manière extraordinaire des Italiens amoureux d’art, » — et d’art théâtral, — « une aisance, un abandon » qui enchantent sa sensibilité d’artiste. Ce n’est certes point sa visite à d’Annunzio blessé, « plus charmant que jamais en jeune officier, » écoutant de la musique de chambre dans un délicieux décor vénitien, qui atténuera en lui cette impression d’art obstinément mêlé aux spectacles les plus tragiques de la guerre [1]. Tant il est vrai que la guerre met en un relief particulièrement vigoureux les traits essentiels, l’âme profonde de chacun des peuples qui y sont engagés.

Cette observation s’applique avec une rigoureuse exactitude à la grande République d’outre-Atlantique. Jusqu’à 1914, on pouvait la croire uniquement absorbée par la « chasse aux dollars, » et elle ne dissimulait point son admiration pour la force allemande. Sur la foi de la propagande germanique, elle croyait naïvement à la « décadence française. » La violation de la neutralité belge, le sursaut d’héroïsme qui dressa la France contre l’envahisseur, la victoire de la Marne dessillèrent les yeux d’un peuple resté très idéaliste sous des apparences parfois contraires. M. Barrès a scrupuleusement épié et très finement noté toutes les phases de la lente évolution qui a fait passer le peuple américain d’une sympathie, d’ailleurs très fervente, à une complète fraternité d’armes. Lettres privées, articles de journaux ou de revues, menus faits de la vie quotidienne lui servent à mesurer « les progrès de la France dans la conscience américaine. » Tout d’abord, d’un élan presque unanime, l’Amérique offre à la France en guerre le généreux hommage de son respect, de son admiration, de son regret de l’avoir méconnue. « Que les mères, écrit magnifiquement M. Barrès, que les mères qui ont perdu leur fils au champ d’honneur recueillent

  1. Dix jours en Italie ; Crès, 1917. Ces pages sont recueillies dans le livre intitulé : Pendant la bataille de Verdun, Emile Paul, 1919 (p. 245-376).