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Lundi, 13 mars.

Je reprends, à deux heures, le chemin de Tsarskoïé-Sélo, mais cette fois en grand uniforme, avec le cérémonial accoutumé.

A l’entrée du Palais, je croise un groupe d’officiers qui viennent de présenter à l’Empereur les drapeaux turcs enlevés, le 15 février dernier, à Erzeroum.

Cette circonstance me procure un exorde tout naturel auprès de l’Empereur. Je lui parle, avec admiration, des brillants succès que son armée a remportés en Asie. Il me répond en renouvelant les éloges qu’il a prodigués hier aux héros de Verdun ; il ajoute :

— On m’assure que le sang-froid et l’habileté du général Joffre lui ont permis d’épargner ses réserves. J’espère donc que, d’ici à cinq ou six semaines, nous pourrons prendre une offensive simultanée sur tous les fronts. Malheureusement, la neige, qui tombe sans répit depuis quelques jours, ne permet pas de prévoir une échéance plus proche. Mais, le jour où mon armée pourra se mettre en mouvement, soyez sûr qu’elle attaquera avec toute la violence possible.

J’expose, à mon tour, que la bataille de Verdun marque dans la guerre une date critique et que la phase décisive des opérations ne tardera plus à s’ouvrir ; je conclus que les Gouvernements alliés doivent se hâter de régler entre eux les grandes questions diplomatiques, dont ils entendent imposer la solution quand sonnera l’heure de la paix.

— C’est pourquoi j’appelle toute l’attention de Votre Majesté sur l’accord que les Gouvernements français et britannique viennent de négocier au sujet de l’Asie-Mineure et dont M. Sazonow doit vous entretenir demain. Je ne doute pas que votre Gouvernement n’examine, dans l’esprit le plus libéral, les légitimes demandes du Gouvernement de la République.

Et je lui indique les lignes générales de l’accord. Il m’objecte aussitôt la constitution future de l’Arménie.

— C’est un problème des plus complexes, me dit-il, et dont je n’ai pas encore délibéré avec mes ministres. Personnellement, je ne rêve d’aucune conquête en Arménie, sauf Erzeroum et Trébizonde, dont la possession est, pour le Caucase, une nécessité stratégique. Mais je n’hésite pas à vous promettre