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que mon Gouvernement apportera, dans l’examen de la question, l’esprit amical dont la France a fait preuve envers la Russie.

J’insiste sur l’urgence d’une décision :

— A l’heure de la paix, les Alliés seront singulièrement forts vis-à-vis de l’Allemagne, s’ils ont tranché par avance toutes les questions qui risqueraient de les diviser. La question de Constantinople, la question de Perse, la question de l’Adriatique, la question de Transylvanie sont, dès à présent, résolues. Hâtons-nous de résoudre la question d’Asie-Mineure.

Cette considération me paraît toucher l’Empereur, qui me promet de s’en inspirer demain dans son entretien avec Sazonow. Il achève par ces mots :

— J’espère que l’Asie-Mineure ne fera pas oublier à votre Gouvernement la rive gauche du Rhin.

La Roumanie nous retient peu. L’Empereur me répète ce qu’il a télégraphié, le 3 mars, au Président de la République, et ses déclarations sont si spontanées, si catégoriques que je ne peux rien lui demander de plus.

Comme il se lève alors, je suppose que l’audience est finie. Mais il me conduit vers la fenêtre, m’offre une cigarette et reprend la conversation devant un merveilleux effet de soleil et de neige qui étend sur le jardin comme une poussière de diamant.

Il parle d’un ton intime, expansif et abandonné, qu’il n’avait pas encore pris avec moi ; il me dit :

— Ah ! mon cher ambassadeur ! nous aurons de grands souvenirs en commun !... Vous rappelez-vous la première fois où je vous ai vu, ici même ? Vous m’avez dit que vous sentiez venir la guerre et que nous devions nous préparer. Vous m’avez aussi rapporté les étranges confidences de l’empereur Guillaume au roi Albert ; cela m’a beaucoup frappé et je l’ai raconté aussitôt à l’Impératrice...

Il évoque successivement, avec une parfaite précision de mémoire, le dîner du 23 juillet à bord de la France et notre promenade en mer, le soir, sur son yacht, après le départ du Président de la République ; puis la semaine tragique qui commença dès le lendemain ; puis la scène du 2 août au Palais d’Hiver, quand, pour prononcer sur l’Évangile le solennel serment de 1812, il me fit placer à ses côtés ; puis encore les inoubliables cérémonies de Moscou ; puis enfin tant de conversations graves et toujours si confiantes.