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héros, qu’un abbé italien, Da Ponte, écrivit d’après Molière, — de très loin après, — pour être mise en musique par son ami Mozart, l’histoire de Don Giovanni : « giovane estremamente licenzioso, » disent les programmes du temps. Le librettiste n’assista pas à la première représentation, qui fut, comme vous savez, donnée à Prague, avec un succès éclatant. Mais à Vienne, dit-il, Don Giovanni « ne fit aucun plaisir. » A l’Opéra-Comique, le mois dernier, ce fut, pour nous du moins, comme à Vienne. Nous sommes tenté, nous cédons même à la tentation d’en vouloir à ceux et à celles qui sont arrivés à nous gâter, à nous ôter le plaisir d’entendre l’un des plus purs chefs-d’œuvre, peut-être le plus pur, de la musique de théâtre et de la musique tout court. Aucun interprète ne fut cette fois, the right man... et the right woman non plus. Par leur faute, par leur très grande faute à tous, pas un seul instant Don Giovanni, dramma giocoso in due atti, ne parut dramatique ni joyeux. Avant tout, au lieu de Don Giovanni, c’était comme toujours Don Juan, et, suivant la coutume aussi, non pas en deux actes, mais en quatre. Ne se décidera-t-on jamais à garder au moins la coupe originale, singulièrement plus légère et plus vive que l’autre, sinon le texte italien, qu’on est hélas ! obligé de traduire ! Que de traductions depuis cent trente-six ans ! Et lesquelles ! La présente est peut-être la pire. Pour s’en convaincre, il n’est que d’ouïr la sérénade chantée par M. Vanni Marcoux dans les deux langues tour à tour. On ne perd pas un mot de l’un et de l’autre idiome, et pour le français, c’est dommage. Autre exemple, encore plus fâcheux, ridicule même, et dans un passage qui ne prête point à rire :


Don Giovanni ! a cenar teco
M’invitasti : son venuto.


Telles sont les premières paroles du convive de pierre. « Don Giovanni ! Tu m’as invité à souper avec toi : je suis venu. » Rien de plus simple, de plus naturel. Que la traduction le soit également, si possible. Mais en tout cas, il est au moins un mot que jamais, sous aucun prétexte, on ne devrait traduire : c’est le premier, c’est le nom. Autant, sur les quatre notes fameuses, » Don Gio-van-ni ! » est terrible, autant est horrible « Don Ju-an-an ! « Cela ne tient pas du chant, mais du braire. Qu’on n’aille pas non plus chercher à côté et remplacer, comme il est arrivé souvent, l’apostrophe initiale et nominale, par quelque chose dans ce genre : « Un con-vi-ve « , ou dans ce goût : « Voici l’heu-re. » Il est naturel, encore un coup, il est logique