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ombre au soleil... Il vous semble que l’auteur vous taquine ; et vous passez quelques pages. Une jeune fille fait le portrait de ses amies. L’une, Victoria, est singulière par l’acuité de son regard : elle voit l’invisible et, de même, entend ce que vous n’entendez pas : « Il eût suffi de bien peu d’êtres avec des sens aussi perçants pour que la France fût exactement peuplée et que rien, du travail des roitelets et des taupes, n’y fût sous un contrôle humain... Ses cils protégeaient bien ses yeux de la poussière, et s’emboîtaient comme un démêloir, au cas où un brin de paille y serait pris... On comprenait, en la voyant à l’affût d’un lièvre, accroupie pour bondir, pourquoi les genoux des hommes et des femmes se replient en dedans et non en dehors. » Une autre amie, Juliette Lartigue : « Nous dirigions sur elle tout ce qui nous semblait d’un règne trop physique, crabes, écrevisses, araignées, ou tout ce qui dépassait notre morale, inceste, meurtre, tsaoïsme, lui laissant le soin d’éprouver les frontières de notre âme. Elle allait ainsi gentiment, une ou deux fois par minute, du néant à la grâce totale. J’oubliais de dire que sa main gauche était toujours froide, sa main droite chaude. Celle de nous qui, en somme, pesait le moins ; mais que cependant devant chaque émotion, chaque coucher de soleil, nous appelions vite, comme on met un gramme dans un plateau pour annuler dans l’autre le poids du papier-enveloppe et avoir la pesée exacte. » Vous n’y comprenez rien ?... Si ! vous y comprenez quelque chose ; mais peu de chose, et à grand’peine. Au bout du compte, vous vous apercevez qu’il y avait peu de chose à comprendre : et vous êtes déçu. L’auteur ne vous a point obligeamment facilité la besogne de le comprendre et vous le soupçonnez même de vous l’avoir compliquée à plaisir : pour son plaisir, assez pervers, non pour le vôtre. Vous pardonnez sans trop d’ennui ou de rancune à un auteur qui, ayant de prodigieuses nouveautés à vous révéler, n’y réussit point à merveille. Tout n’est pas clair, en ce monde ; et il faut consentir que ce qui n’est pas clair ne soit pas clairement dit. L’auteur a tâché d’être clair et, s’il ne l’est pas à merveille, l’objet de son discours ne l’était pas. M. Giraudoux met de l’obscurité inutile. Voilà ce qui fâche son lecteur.

Ouvrez les autres volumes de cet écrivain. Si vous n’avez pas de chance, vous y tomberez sur de telles pages, qui ne sont pas du tout satisfaisantes.

Vous y remarquerez que M. Giraudoux se moque, par moments, de la syntaxe. Il écrit, dans L’école des indifférents : « Pour Versailles, il y part à pied... Je lui fis donner, pour qu’il ait approché... Malgré