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que le professeur s’entête... » Dans Lectures pour une ombre, il écrit : « Celles vêtues de pilou... » Dans Simon le pathétique : « Celui aux jambes maigres... » Dans Adorable Clio : « Ceux, décolletés, que l’on guillotine... » Il écrit : « Un casoar accroupi près de moi lançait en l’air sa tête encore aveugle comme une élastique. » Et il écrit : « De la terre, de Paris, l’effluve la plus odorante... » Cela vous désole. Si vous le dites, on vous accusera de pédantisme. C’est une accusation qu’il faut supporter sans faiblesse. Évidemment, le pédantisme ne paraît pas une jolie manière. Mais il n’est pas joli non plus d’offenser le bon langage français.

Vous concluez que M. Giraudoux commet toute sorte de péchés, le péché de négligence et le péché d’obscurité ou de brouillamini. Vous fermez ses livres et les jetez à l’écart. Vous avez tort et vous privez d’une lecture, malaisée, je l’avoue, mais attrayante et, en bien des endroits, délicieuse.

Il est impossible que vous n’aimiez aucunement ce paysage du Nord : « Peu d’habitants, tous les oiseaux ; des canards trop lourds qui devaient traverser le golfe en plusieurs fois, par ricochet ; des poules d’eau, surprises par le pasteur, qui regagnaient dignement et pudiquement leur bain ; des éperviers égarés au large, qui convoitaient leur propre image, se laissaient soudain tomber sur elle et, déconfits, regagnaient la terre d’un vol court et mouillé. Pas de fils blancs, le soir, sur les buissons, entre les arbres ; mais des aigrettes, des flocons, des duvets et, sur la rive, alternant pour le poète gai, le poète mélancolique, des plumes de cygne blanc, des plumes de cygne noir. Du moindre regard au ciel, comme d’une fusée, retombait une gerbe d’oiseaux. On reconnaissait d’où venait le vent, vers le crépuscule, à l’orientation des cygnes endormis. Pour un bateau qui appareillait s’élevaient mille mouettes ; pour une pensée, mille rêves. » Il y a là, je le sais bien, de la recherche : et des trouvailles ! C’est méticuleux : c’est charmant ! La peinture des objets et la peinture de l’esprit où les objets sont reflétés composent un paysage qui est aussi un état de l’âme. Et c’est un jeu ? Mais la littérature est un jeu. Voulez-vous qu’elle soit tout le temps à énoncer des vérités premières ?

Vous la préférez plus sentimentale ? Vous avez cependant aperçu le sentiment très délicat, furtif et tremblant qui passe dans ce paysage. Un sentiment d’artiste ? Vous demandez peut-être un sentiment plus simple et, comme on dit, plus cordial et humain. Alors, il est impossible que vous n’aimiez pas du tout cette page où frissonne en poésie le chagrin de séparation : « Il me semble maintenant que ma journée