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Leur but est, naturellement, d’accentuer le différend entre la France et l’Angleterre. Que la France ne ferait-elle pas, insinue-t-on, si elle voulait s’entendre avec les Russes et les Turcs ! M. Theodor Wolff a écrit, sur ce thème, dans le Berliner Tageblatt du 13, de curieuses variations. En même temps, nous assistions, dans certains journaux français, à une étrange offensive du bolchévisme. Les loups se font bergers. Mais tandis que la Russie meurt de faim, l’armée rouge reste bien nourrie, mobilisée et équipée. Que, sous l’aiguillon de la nécessité, il se produise en Russie certaines évolutions, tous les témoins l’affirment. Le Gouvernement bolchéviste, pourvu qu’il puisse sauver son pouvoir, est prêt à ouvrir la Russie au commerce et aux entreprises étrangères. S’il faut en croire les statistiques données par les journaux de Moscou, le commerce extérieur de la Russie en 1921, tout en restant insignifiant (907 000 tonnes aux importations, 212 000 aux exportations), est cependant en progrès, puisqu’il n’était durant le premier trimestre que de 49 000 tonnes aux importations et 7 600 aux exportations et que, durant le quatrième, il est passé à 323 000 et 121 000 tonnes. Les journaux bolchévistes cherchent vainement à dissimuler le désarroi du Gouvernement soviétique ; son pouvoir est encore solide en Russie, aucune force active n’étant en mesure de le renverser, mais sa détresse l’oblige à accepter les conditions de la « bourgeoisie » et du « capitalisme » européen. Si les Occidentaux allaient à Gênes bien pénétrés de cette vérité, ils éviteraient les pièges et les dangers que les délégués des Soviets leur préparent. Ne nous laissons pas piper aux descriptions idylliques que les missionnaires du bolchévisme servent à nos journaux. On cherche, pour compléter l’illusion, à faire disparaître l’ignoble « Tcheka » ou à la « camoufler. » M. Radek nous montre « le paysan russe, de moujik qu’il était, devenu une sorte de farmer américain, un consommateur de premier ordre. Il veut acheter et bien vivre. C’est un propriétaire qui est capable d’absorber des marchandises et de produire intensément. » L’amorce est un peu grosse ; il est trop visible qu’il s’agit d’allécher le commerçant anglais. Si les paysans avaient une telle capacité d’achat, le docteur Nansen ne viendrait pas faire appel à la charité de l’Europe pour nourrir des millions d’affamés.

De cette effroyable misère, de cette famine telle que l’on n’en a pas vu depuis les temps où, faute de routes et d’une bonne police, une province pouvait mourir de faim, tandis que sa voisine voyait son grain pourrir dans ses greniers, c’est la désorganisation indicible créée