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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/486

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REVUE DES DEUX MONDES

d’écorché vif. Après avoir parcouru la ville et poussé jusqu’aux jardins, qui la prolongent durant quelque cent mètres sur le fleuve, nous avions vu tout et rien. Quel esprit se cache dans Hamah ? À quoi songent ces Syriens ? On voudrait comprendre, on voudrait apercevoir dans ce décor monotone, au cœur de ces petites maisons, toutes pareilles et toutes fermées, plus que des intérieurs de patios, des intérieurs d’âmes.

— Ne pensez-vous pas, me dit l’Irlandais, que le mieux serait maintenant que nous cherchions des antiquités ?

Un indigène nous conduisit devant une porte qu’il heurta d’une suite de coups convenus, et après quelques pourparlers et les cinq minutes qu’il fallut pour que les femmes se retirassent, nous fûmes introduits dans un divan, où, le café servi, un Juif nous montra ses trésors : deux ou trois bustes funéraires de Palmyre, qu’il débarrassa des linges qui les enveloppaient comme les bandelettes d’une momie, des monnaies d’or et d’argent à l’effigie des empereurs syriens, et un manuscrit arabe.

— Le manuscrit, me dit l’Irlandais, après un examen rapide, est d’une écriture médiocre, mais à première vue il me semble très curieux. Il pourrait être d’un de ces métis d’occidentaux et d’indigènes que les Croisés appelaient, ici, des Poulains et, en Grèce, des Gasmules. Les Poulains (d’où vient ce nom, je l’ignore) étaient les produits de père franc et de mère syrienne, où de père syrien et de mère franque. Leurs écrits sont rares et, comme vous pensez, d’un esprit plutôt singulier. Il est vraisemblable que l’auteur de la Chronique grecque de Morée était un Gasmule, et le récit que voici peut provenir de quelque Poulain appartenant à la maison d’un baron à qui il se rattachait par le sang et près de qui il servait de clerc pour les langues orientales.

C’était une heureuse trouvaille. Mon compagnon acheta les précieux feuillets, je choisis une pièce d’or d’Héliogabale où figure la pierre noire qu’adorait ce jeune dément, et nous allâmes nous asseoir au petit café sous les peupliers de l’Oronte.

Quelques Arabes commençaient d’y arriver, car le soleil descendait sur l’horizon, et déjà les colombes et les hirondelles ouvraient leurs grands vols du soir. Mon savant se plongea dans l’examen de son grimoire, et moi, sous les beaux arbres, — pareils aux arbres de chez nous, mais qu’ici l’on bénit de daigner exister et fraîchira la brise, — en face de cette eau de salut