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écrivait à cette époque ; il était la source de toutes mes connaissances et la règle de tous mes jugements. »

De son mariage avec Mlle de Montravel, Armand de Pontmartin avait eu un fils, Henri, qui naquit à Avignon le 21 novembre 1844 et mourut aux Angles, dans le petit manoir patrimonial situé au bord du Rhône, le 19 septembre 1916. Henri de Pontmartin, après d’excellentes études au lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), remporta comme son père des succès aux concours généraux. Licencié en droit, il entra à l’Ecole des Chartes dont il sortit le deuxième.

E.-M. de Vogüé avait fait ses études au collège d’Auteuil dans une pension tenue par des ecclésiastiques, qui était à cette époque en grand renom et disputait aux Jésuites de Vaugirard une partie des enfants du faubourg Saint-Germain. Après son baccalauréat, il resta trois ans à Gourdan, dans le château où s’était écoulée son enfance [1].

Reconstruit au XVIIIe siècle, Gourdan, avec ses pavillons et ses terrasses, était une vaste demeure perdue dans les Cévennes. Dans cette solitude qu’on a comparée à celle de Combourg, l’adolescent se mit à apprendre avec une véritable fièvre, lisant tout ce qui lui tombait sous la main, poètes et prosateurs, anciens et modernes, les chefs-d’œuvre classiques et les productions contemporaines, prenant des notes sur toutes ses lectures. Il se passionna pour la philosophie, la philologie, les sciences naturelles, la politique, le Moyen âge, la Renaissance, les voyages, mais surtout pour l’art et la poésie. Il ne sortait jamais sans un volume de Lamartine, d’Hugo, de Musset ou de Vigny

Il ressentait une grande joie lorsqu’une ou deux fois par an Henri de Pontmartin arrivait. Entre les deux jeunes gens, c’était un déluge de discussions, de citations, de vers, de thèses interminables déroulées pendant de longues promenades et prolongées la nuit dans la vieille bibliothèque. Eugene-Melchior garda de ces heures de communion intellectuelle un souvenir profond ; il voua à son ami une affection solide qui ne se démentit jamais.

La vie les sépara. Tandis qu’Henri de Pontmartin passait son existence aux Angles, E.-M. de Vogüé vécut à l’étranger de 1871 à 1882. La correspondance que nous publions, — elle s’étend de 1867 à 1909, — embrasse une grande partie de sa vie [2]. Nous suivons le diplomate dans les chancelleries de Constantinople et de Pétersbourg, le voyageur sur les routes de Syrie et de Palestine, dans les steppes et

  1. Gourdan, près d’Annonay, était situé dans la commune de Saint-Clair (Ardèche).
  2. Né à Nice le 25 février 1848, le vicomte E.-M. de Vogué est mort à Paris le 24 mars 1910.