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les forêts d’Ukraine ; à partir de 1883, nous trouvons l’écrivain installera Paris, nous assistons aux divers moments de sa pensée, à la genèse de ses écrits ; nous le voyons s’intéresser à la vie intellectuelle, politique et sociale de son pays, retourner en Ardèche pour y assumer pendant une législature la charge de député, reprendre ses courses à l’étranger dès que ses multiples occupations lui en laissaient le loisir.

On retrouvera dans ces lettres la profusion d’idées, la belle imagination, le goût des grands espaces qui donnent à l’œuvre d’E.-M. de Vogüé un accent si particulier. On y verra combien l’auteur du Roman russe aimait ses amis, — le chagrin qu’il éprouve à la mort d’Albert Sorel et de Brunetière l’atteste, — et avec quelle fidélité il s’adressait au témoin des années disparues pour lui payer largement la dette du souvenir.

R. V.




A Armand de Pontmartin


Gourdan, 17 septembre 1867.

Monsieur,

Je ne veux pas laisser se perdre le souvenir de la bonne hospitalité que j’ai reçue aux Angles sans vous en remercier encore une fois. Je voudrais pouvoir le faire à la Mûre [1] où l’on m’a dit avoir quelque espoir de vous posséder, mais je sais que c’est là une bonne fortune trop rare pour le Vivarais et je comprends à merveille qu’on hésite comme le faisait ce bon Henri avant de quitter le beau ciel du Comtat pour nos brumeuses montagnes.

Maintenant, les relations sont très suivies entre la Mûre [2] et Gourdan, et tous les jours nous nous réunissons tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Henri est si bon, si amusant, si attractif, que je me demande comment je fais pour tuer les dix ou onze mois de l’année que je passe sans le voir. Encore son cousin me l’a-t-il soustrait hier soir pour cinq ou six jours. Enfin, j’espère que rien ne s’opposera à l’accomplissement de mes projets cet hiver et que je pourrai aller chercher avec lui à Paris un peu de travail et de vie, surtout cette fièvre intellectuelle qui ne règne que là, et où l’on puise à mon âge ces fortes pensées dont, selon le moraliste du XVIIIe siècle, le reste de la vie n’est que

  1. Propriété de feue la comtesse de Montravel, située dans la commune de Serrières (Ardèche).
  2. Propriété de feue la comtesse de Montravel, située dans la commune de Serrières (Ardèche).