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Sa Majesté Kai Dinh est un homme jeune, intelligent et fin : très élégant, il est vêtu de robes magnifiques et coiffé d’un turban jaune qui couronne un visage strictement rasé et impassible ; l’émotion qu’il ressentait sans doute à recevoir cet hôte de marque se trahissait seulement par le mouvement de ses mains, de belles mains d’artiste chargées de bagues. Il a su exprimer son plaisir que le Maréchal ait été choisi comme messager de la France auprès de lui, en rappelant que le capitaine Joffre avait combattu autrefois les ennemis de son père, l’empereur Dong Khanh ; il a parlé en termes heureux de la « Grande France, son pays suzerain, » assurant le Maréchal qu’il travaille de toutes ses forces à éviter tout malentendu entre son Gouvernement et les représentants de la France protectrice : il prétend d’ailleurs se rendre parfaitement compte que cette entente peut seule assurer à son peuple le bien-être et le progrès. Il disait cela simplement, lentement, avec réflexion, pendant que le Maréchal, penché vers lui, l’écoutait avec un bienveillant respect ; et ces deux hommes formaient un groupe plein de contrastes : l’Empereur délicat et paré de soies et de bijoux comme une idole, et le Français rude et massif dans son simple costume blanc colonial semblait être la puissante ébauche d’une statue de marbre ; un enfant d’une douzaine d’années, charmant sous son turban orange, tournait autour d’eux : c’était le jeune prince héritier, Son Altesse Impériale Vinh Thuy.

En gage d’admiration, l’Empereur a remis ce matin au Maréchal un précieux cadeau : un bâton de commandement en argent, en or et en jade, ou sceptre de bonheur, choisi spécialemens dans le trésor impérial : c’est, a-t-il dit, le seul objet qu’il ait jugé digne de l’Illustre Soldat, puisque c’est celui qu’autrefois les empereurs d’Annam donnaient à leurs généraux victorieux.

Ce soir, Sa Majesté a donné en l’honneur du Maréchal un grand dîner officiel, suivi d’une fête de nuit dans son palais, des danses d’enfants aux épaules parées de lanternes. La timide petite Impératrice assistait à ces fêtes, touchante avec son sourire triste : son père Ho Dac Trung, ministre de l’Instruction publique et des Rites, un grand vieillard à la barbe rare, assistait l’Empereur ainsi que les trois autres « Colonnes de l’Empire. » Parmi celles-ci, la figure la plus attachante est peut-être celle