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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/746

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REVUE DES DEUX MONDES.

chantement, et voici que je reçois de son clair visage et de son regard toutes les misères humaines. Je voudrais qu’elle mourût, et pourtant je ne puis pas renoncer aux lambeaux de notre bonheur. Qu’elle périsse avec moi ou qu’ensemble nous soyons heureux !

En parlant ainsi, il serrait dans ses bras Isabelle et, les yeux fermés, couvrait sa figure de baisers qu’elle repoussait doucement, un pou épouvantée, et disant :

— N’oubliez pas que je suis Isabelle, non Oriante.

— Je l’aime et la hais, je suis trop malheureux. Si elle veut m’assassiner, pourquoi n’est-ce pas de plaisir en m’embrassant ?

Il disait d’elle les choses les plus tendres, puis la couvrait de reproches et d’imprécations, comme si elle eût été présente. Cependant, à sentir contre lui des formes charmantes, sa fureur devenait douceur, plainte et plaisir, toute son âme confusion, et ses menaces de plus en plus lointaines finissaient en remerciements pressants :

— Sur cette prairie de mon bonheur, dans cette ville où j’ai été deux fois heureux, une seule m’accueille ! Isabelle, je vous remercie et vous aime.

ISABELLE.

Nous vous aimons, toutes, d’amitié, mais c’est avec elle seule que vous êtes lié d’un amour égal des deux parts, d’un amour jusqu’à la mort, qui chez vous n’empêche pas l’injustice. Vous disiez qu’elle était un ange ; maintenant, vous la traitez de démon. Vous la mettez tantôt au-dessus d’elle et tantôt au-dessous. C’est une femme. Elle veut comme toutes les femmes que celui qu’elle aime soit le plus fort. Écoutez nos avis. Elle vous remercie d’être venu. Comme vous avez tardé ! Je ne l’ai pas blâmée quand elle n’a pu vous rejoindre à Damas. Voulais-tu voir, loin du ciel de sa patrie, ton bel oiseau de paradis piétiner chétivement dans les ruelles de l’exil ? Et c’est moi, aujourd’hui, qui viens de la dissuader de vous rejoindre sur cette pelouse. Si quelqu’un se doit perdre, que ce soit la pauvre Isabelle. Mais Oriante viendra. Tu la prendras dans tes bras. Et me voici pour en chercher avec toi le moyen, que nous trouverons sûrement.