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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/751

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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

fait son éloge. Tu te rappelles nos soirs sur le haut du rempart ? Tu me disais que les chrétiens, mieux que les Arabes, honorent les femmes. Nieras-tu que tu m’as déclaré : « Ce n’est pas mon rôle de massacrer les gens de mon pays. » Dans ce moment, j’ai compris que tu ne pensais pas que tes intérêts fussent confondus avec les miens. Quand je t’avais sacrifié mon Seigneur naturel, tu me préférais tes frères de naissance. C’est toi qui m’as infligé leur éloge ; c’est toi qui m’as abandonnée, et pourtant c’est toi, sache-le donc, que je cherche à retrouver en eux. Je jure que s’ils me plaisaient si peu que ce fût, ce serait pour quelque ressemblance.

— Isabelle, Isabelle, appelait le jeune homme, avec épouvante et désespoir, vous l’entendez ! Comment se fait-il qu’il y ait en elle quelque chose de vrai et qui passe en douceur toutes les images d’église que je garde dans mon esprit, et puis, soudain, par une métamorphose que je ne m’explique pas, alors que dans ses bras j’entends le battement de son cœur et reçois la chaleur de son corps, je la sens qui pense hostilement contre moi. Je joue avec une charmante couleuvre, innocente, subtile, mon amie, et soudain la tête s’aplatit, le dard apparaît, c’est une vipère, dont il faut bien que je souhaite la mort. Ou plutôt qu’elle vive et que moi, je cesse d’exister.

Oriante se taisait et sentait sa puissance.

Mais Isabelle :

— Ne sauriez-vous prendre un peu de bonheur ! Rappelez-vous ce que dit le poète : « Entraînée par le blanc coursier du jour et par la cavale noire de la nuit, la vie galope à deux chevaux vers le néant. » Dans cette minute, sire Guillaume, tu tiens ton amie à ta discrétion. Elle est ici, nulle part ailleurs. Elle t’offre ses caresses. Ne vas-tu lui répondre que jalousie et méchanceté, et crois-tu qu’il soit raisonnable que tu repousses ce que tu désires au point d’en mourir ?

Sur la pauvre natte de jonc, recouverte de fleurs, elle jetait leurs manteaux, et Oriante, attirant contre elle son ami :

— Que je sois plus glacée que la brebis galeuse, quand, privée de sa toison, elle demeure exposée à la pluie et au froid de l’hiver, si ce n’est pas toi que j’aime ! Mais que me reproches-tu ? La lionne peut se défendre contre les attaques du chassaur ; elle protège les abords de son antre contre toute une armée de cavaliers : que peut-elle, si les fourmis se dirigent