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lui-même du secours. Le capitaine Depommier est parti d’In-Salah pour le ravitailler et le renforcer. Un détachement du Touat-Gourara le suit, formant réserve éventuelle, bien qu’il soit imprudent de diminuer les effectifs de cette région où l’effervescence commence. Mais il importe de parer au plus pressé : faudrait-il donc évacuer Fort-Motylinski au moment même où l’on se demande, la mort dans l’âme, s’il ne faudra pas évacuer Fort-Flatters ? La chute d’Agadès semble imminente ; depuis les premiers jours de décembre 1916, le Senoussiste Khaoussen, après avoir soulevé tout l’Air, escompte ce succès dont le retentissement serait formidable ; et l’on va répétant de tribu en tribu que déjà les premiers coups qu’il a portés ont ébranlé l’âme fidèle de Moussa ag Amastane. Il est grand temps d’aviser, de ne pas faire un geste inutile, et de frapper fort.

Le général Laperrine tranche dans le vif. Non, Fort-Flatters ne sera pas évacué ; « ce serait d’un effet moral déplorable ; » à tout prix, le recul sera arrêté, et même, s’il est possible, on tentera l’offensive et l’on courra sus aux rezzous assaillants. Non, Fort-Motylinski ne sera pas évacué. Non, l’on ne délaissera plus de territoires. « On criera bien haut, on fera savoir à tous, ennemis et amis, que nous sommes décidés à ne plus rien abandonner. » Quant à Khaoussen, tous les groupes du Sud, le lieutenant-colonel Mourin venant de Zinder où nos amis et alliés Anglais surveilleront le Sud du territoire, et le chef de bataillon Berger, venant de Menaka à la tête des éléments mobiles de la région de Tombouctou, unis aux renforts arrivés en Hoggar et aux contingents de Moussa ag Amastane, briseront sa résistance, le couperont de Chat et l’attaqueront à revers.

Voilà un plan de campagne nettement et fortement conçu. A-t-il chance d’aboutir à un succès absolu ? Le général se sent pris d’un doute : il lui semble que ses Sahariens ne valent plus les Sahariens que jadis il galvanisait ; il a l’intuition que, dans les unités de marche, les éléments divers ne sympathisent pas, car, après un échec, ils s’en rejettent mutuellement la responsabilité ; enfin, il s’aperçoit rapidement de l’état lamentable des mehara, de la pénurie des vivres, de la rareté des renseignements, des contradictions dans les nouvelles. Aussi, instinctivement, prévoit-il qu’il ne sera pas « toujours heureux, » et il avouera, dans son rapport, que les causes de désarroi étaient si nombreuses « qu’il n’a pas toujours compris. »