mais nous, qui les connaissons, nous pensons qu’ils ont réussi bien au delà de nos espérances. Cela ne nous empêche pas de trouver la manœuvre anglaise fort imprudente. Comment ! voilà la politique, le prestige, tous les intérêts de l’Occident remis à 150 000 Hellènes ! S’ils sont battus, il n’y a plus de barrière, plus d’obstacle aux violences des Turcs et peut-être à l’invasion des Russes. Pouvait-on pousser plus loin l’imprévoyance et la légèreté ?
« Malgré tout, nous mettons encore notre confiance dans l’Angleterre. Les dix années de tranquillité dont nous avons absolument besoin pour nous organiser, seule l’Angleterre, si elle le veut, peut nous les ménager et nous les garantir. Tant que l’Angleterre et les Etats-Unis marcheront d’accord, sur le terrain de la politique orientale, la France ne pourra pas opposer une volonté contraire à leur commune volonté. Comment vous traduire notre sentiment exact ? Je dirai que, par tradition, nous souhaiterions le mandat français sur l’Arménie, mais que, par intérêt bien entendu, par nécessité, puisque le mandat américain est impossible, nous aspirons au mandat britannique.
« La politique actuelle de la France nous a déçus et nous afflige ; mais nous la jugeons moins sévèrement, parce que nous en considérons la réalité, et non pas l’apparence. La politique que vous faites aujourd’hui en Cilicie, et généralement en Turquie, n’est en substance ni favorable aux Turcs, ni hostile aux Arméniens : c’est une politique de défense contre l’Angleterre. Celle que font les Anglais en Grèce, en Palestine et en Mésopotamie n’est pas inspirée par un amour déraisonnable pour les Grecs, les Juifs ou les Arabes, mais par le désir, par le besoin de tenir la France en échec.
« La France et l’Angleterre crurent-elles, tout de bon, avoir accordé leurs politiques orientales en concluant le pacte de 1916 ? Je ne le pense pas. Les deux Gouvernements étaient alors obsédés par une seule préoccupation : maintenir à tout prix l’alliance nécessaire. Quant aux deux négociateurs, ils poursuivaient, chacun de son côté, des objectifs inconciliables. Sir Mark Sykes et M. Picot signèrent sans conviction un arrangement qui ne les satisfaisait ni l’un ni l’autre et qu’ils prévoyaient à peu près irréalisable. En fait, les hommes qui dirigent à Londres la politique orientale ne veulent à aucun prix, ni que la France occupe à Constantinople une situation