Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
REVUE DES DEUX MONDES.

ciens fût exclu. C’est ce qui m’a dicté les pages qu’on va lire. Plus tard, dans quelques années, dans quelques lustres, on peut croire que les controverses intellectuelles, auxquelles a donné lieu la présence d’Einstein à Paris, en ce neuf printemps de 1922, passeront beaucoup en importance tant d’autres contingences dont l’actualité nous éclabousse. Je gage que dans quelques siècles, — et qu’est-ce que cela dans l’histoire astronomique, ou simplement biologique, de la planète ? — la discussion récente du relativisme au Collège de France, marquera une étape sur la route de l’intelligence humaine… tandis que la Conférence de Gênes sera depuis longtemps oubliée, comme tant d’inutiles palabres passées et à venir.

Si nous avons eu la chance d’assister, au Collège de France, à des séances de discussion serrée, plutôt que d’exposé didactique, l’origine en fut dans un désir d’Einstein lui-même, désir que lui inspira sa modestie, ou pour mieux dire sa confiance insuffisante en lui-même.

Voici en effet ce qu’il écrivait dans une lettre, peu de jours avant sa venue à Paris :

« J’aurai certainement quelque difficulté à m’exprimer en français, mais je pense m’en tirer de toute manière, par exemple en lisant un texte préparé. Les formules aident beaucoup d’ailleurs[1], et un collègue de bonne volonté voudra bien me souffler et extraire les mots qui me resteraient dans la gorge.

« Il serait peut-être encore plus agréable, et plus utile que nous puissions avoir une sorte de petit congrès de la Relativité, dans lequel j’aurais seulement à répondre à des questions. Les difficultés d’expression me gêneraient moins de cette manière que pour une exposition plus ou moins complète de la théorie. »

Les craintes d’Einstein n’étaient pas fondées, l’expérience l’a prouvé. Du moins nous ont-elles valu les controverses les plus passionnantes qu’on puisse imaginer, et des heures de volupté intellectuelle, comme on a peu souvent l’occasion d’en savourer dans l’insipidité coutumière de cette brève existence.

Le mérite, — qui n’est pas mince, — d’avoir mené à bien ces séances dès maintenant célèbres, revient surtout à M. Langevin, professeur de physique expérimentale au Collège de

  1. On entend bien qu’Einstein parle ici du langage mathématique qui est assurément, avec l’aide du tableau noir, le plus international qui soit… du moins pour les initiés, et le seul qui dispense d’être polyglotte.