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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/173

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Ce ne fut point, pour commencer, diminution de sympathie pour leur détresse ni du sentiment des obligations qu’il leur avait. Sa poésie est dans ces mêmes années abondante en thèmes où son angoisse personnelle s’épanche, sous forme dramatique, en touchantes histoires de filles séduites, d’épouses délaissées, ou simplement de malheureuses femmes dont la guerre a désolé la vie. Tantôt les circonstances du récit sont sensiblement éloignées de celles concernant Annette, tantôt elles les côtoient, mais dans tous ces poèmes, dont l’insistance pourrait à bon droit surprendre si l’on ignorait sa propre aventure, on rencontre le même pathétique issu d’un cœur tourmenté par le souvenir et le remords.

C’est la Marguerite de la Chaumière ruinée (1797), heureuse avant la guerre qui répand la désolation dans le pays, dont le mari s’enrôle un jour, poussé par le chômage, et ne revient plus. Elle voit son petit enfant mourir, son jardin aller à l’abandon, sa chaumière tomber en ruine.

C’est, dans l’Épine (1798), Martha Rey abandonnée grosse de trois mois par Stephen Hill, qui en épouse une autre. Elle tue son enfant et devient à moitié folle de douleur et de remords. Elle ne cesse plus de venir sangloter sur le tertre planté d’une épine où les villageois croient qu’elle a enseveli le petit corps.

C’est surtout la Mère folle (1798), une de ses plus touchantes ballades, le chant de la pauvre femme délaissée par son mari alors qu’elle allaite son nourrisson, — plainte prolongée, émouvant appel à l’oublieux absent. Le poète n’eut-il pas la fréquente vision d’une autre abandonnée berçant son enfant et qui pouvait bien s’imaginer aussi, ne voyant plus le père revenir, qu’il n’avait plus souci d’elle ?

C’est Ruth (1799), qui écoute les enivrants propos d’un jeune Géorgien, ses descriptions enchanteresses des Tropiques. Elle se laisse mener par lui à l’autel, mais le jeune mari, vite repris par la passion de la vie libre et vagabonde, la quitte bientôt et de douleur elle perd la raison.


XII

Ainsi s’exhalait le souci de Wordsworth quand il pensait à Annette. Ce n’était certes pas l’oubli. Dans des lettres qu’il écrivait à Dorothée vers 1800, il parlait encore avec une tendre