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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/217

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une bonne foi imprudente, ne sachant pas à quoi les engage leur réponse. Elle les engage à lire Germinie Lacerteux et la Fille Elisa : « Vivant au XIXe siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle les basses classes n’avait pas droit au roman ; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l’interdit littéraire et des dédains d’auteurs qui ont fait jusqu’ici le silence sur l’âme et le cœur qu’il peut avoir. Nous nous sommes demandé s’il y avait encore, pour l’écrivain et pour le lecteur, en ces années d’égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés, des catastrophes d’une terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosité de savoir si, dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut... » Ces Goncourt ne sont pas des écrivains concis. Résumons-les : au nom de la démocratie, du libéralisme et du suffrage universel, ils réclament le droit, qu’on ne songe pas à leur chicaner, le droit de choisir dans le peuple, et fût-ce très bas, les héros et les héroïnes de leurs romans. Ne dirait-on pas qu’ils viennent d’inventer le roman du peuple ?

Mais l’ont-ils inventé ? Victor Hugo leur écrit le 1er juin 1865 : « J’ai lu Germinie Lacerteux. Votre livre, messieurs, est implacable comme la misère. Il a cette grande beauté, la Vérité. Vous allez au fond, c’est le devoir, c’est aussi le droit... » Victor Hugo était prodigue de ces louanges qu’il assénait fort bien. Mais il ajoute : « J’ai fait comme vous cette étude. J’ai marché dans ce labyrinthe d’abord à tâtons, puis j’ai fini par saisir le fil conducteur. Cela vous arrivera comme à moi... » Victor Hugo se souvient d’avoir écrit les Misérables, roman du peuple, et que les Goncourt semblaient oublier. Il a raison : ce n’était pas, en 1865, une prodigieuse nouveauté, de choisir ses héros dans la populace. Victor Hugo invite poliment les Goncourt à se considérer comme ses élèves, de bons élèves et qui feront des progrès, s’ils travaillent : est-ce qu’ils n’ont pas déjà le sentiment de « la pitié pour le faible » et de « l’amour pour le souffrant ? » Allons, courage !

Notre littérature, avant les Goncourt et Victor Hugo, a-t-elle négligé le peuple ? Jamais, et non pas même aux époques les moins démocratiques, au XVIIe siècle, pourvu qu’on ne borne point aux