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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/216

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les « propagateurs de cet art en train, sans qu’on s’en doute, de révolutionner l’optique des peuples occidentaux ; et de trois ! » Jules concluait : « Eh ! bien, quand on a fait cela, c’est vraiment difficile de n’être pas quelqu’un dans l’avenir. » Edmond, quinze ans plus tard, se disait que le « promeneur mourant du Bois de Boulogne » avait probablement raison.

Mais oui, les Goncourt sont quelqu’un ! Laissons de côté leurs deuxième et troisième arguments, la « japonaiserie », l’art et le mobilier XVIIIe siècle : ils sont quelqu’un dans la littérature, quelqu’un de très important, de très influent. La question ne sera que de savoir s’ils ne sont pas quelqu’un de très influent, qui s’est trompé, dont l’influence a été très mauvaise.

Les Goncourt avaient une doctrine, et que l’on trouve dans Germinie Lacerteux, l’un de leurs premiers romans, et que l’on retrouve dans Chérie, le dernier roman du survivant. Est-ce qu’ils ont inventé leur doctrine d’abord et conformé leurs romans à leur doctrine ? Les romans et la doctrine sont, en deux fois, l’expression de leurs goûts, de leurs aptitudes et aussi de leurs infirmités. Nos opinions ne sont-elles pas nos poèmes les plus naïfs et, sur un ton qui n’est pas humble, nos aveux ? Par exemple, les Goncourt n’avaient pas beaucoup d’imagination : en pareil cas, l’on préconise l’excellence du réalisme.

La philosophie des Goncourt, si j’ose ainsi parler, leur philosophie de romanciers se résume en trois commandements que je rédige à leur manière : faire moderne, faire scientifique et faire artiste.

Ce mot « moderne, » les enchante et leur impose ; on dirait qu’ils subissent un prestige. Or, les « japonaiseries » les plus charmantes et qu’ils célébraient à merveille n’étaient pas toutes récentes ? Récentes chez nous ; et ils les lançaient, comme le dernier cri. L’art du XVIIIe siècle ? Méconnu : ils venaient de le découvrir. D’ailleurs, il s’agit de littérature ; en littérature, ils ne sont pas réactionnaires le moins du monde.

Ils inventent le roman moderne. C’est, à coup sûr, leur croyance et leur prétention superbe. On écrivait des romans, avant eux ? Oui : des romans faux ; et deux sortes de romans faux, œuvres polissonnes, œuvres consolantes. Ils écartent la polissonnerie et la consolation. Leur roman, c’est le roman vrai, le roman moderne.

Ils demandent à leurs lecteurs : êtes-vous, oui ou non, des hommes du XIXe siècle ? Oui, répondent leurs premiers lecteurs, avec