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de son observation. » Ça le dégoûte et ça le grise ! Le lecteur de Germinie Lacerteux et de la Fille Élisa, qui n’éprouve pas la griserie, le dégoût lui reste. Et le jeune Zola, que la griserie anime, confesse (ou proclame) qu’il a le goût dépravé.

La Fille Élisa vient de paraître : scandale ; on parlait de poursuites. Goncourt dîne chez la Princesse Mathilde, Elle le regarde « avec une tendresse un peu intriguée ; » elle lui dit : « Comme vous faites des choses qui vous ressemblent peu ! C’est abominable ! c’est abominable !... » Et, ajoute Goncourt, « elle fuit ma réponse. » Qu’est-ce qu’il aurait donc répondu ? Qu’il avait peint la vérité, qu’il l’avait peinte avec bravoure.

Cette bravoure, dont se vantent les écrivains en pareil cas, est excellente ou inutile selon l’usage qu’ils en font. Je ne leur sais pas gré d’une bravoure qu’ils n’emploieraient qu’à offenser le bon goût ; je leur saurais gré d’une timidité qui les rendrait de plus agréables conteurs.

Puis la bravoure d’un auteur, au bout de quelque temps, ne se voit plus, cette bravoure qu’il y eut à étonner les contemporains, à encourir leur blâme ou leur dédain ; ni la bravoure, ni l’audace. Il n’est rien de plus vain que l’audace, en littérature, je vous le jure ! Il n’est rien de plus facile et rien qui laisse moins de traces. Veuillez relire Germinie Lacerteux et la Fille Élisa ; informez-vous : on vous dira que ces romans étaient hardis, l’un en 1865, et l’autre en 1877. Jamais vous ne vous en apercevriez, si les témoignages des Goncourt et de leurs amis ne vous avertissaient d’y songer. Vous n’êtes pas scandalisés, mais importunés par tant de mornes turpitudes qui sont les deux histoires de Germinie et d’Élisa. Les audaces démodées ont un pauvre petit air et ne suffisent pas à orner les romans très ennuyeux. Goncourt a beau vous répéter : « C’est moderne ; c’est la vérité moderne ; l’art moderne, » et moderne à tout bout de champ, — ce ne l’est plus !...

Demandez-leur ce qu’ils entendent par le roman moderne ; ils ont un autre mot : scientifique. Le roman n’était, avant eux, — ils vous le diront. — qu’un jeu frivole. Badinage, autrefois ; et maintenant : « Aujourd’hui que le roman s’élargit et grandit, qu’il commence à être la grande forme sérieuse... » sérieuse ! et ne comptez pas rire ; vous n’êtes pas là pour vous amuser... « passionnée, vivante, de l’étude littéraire et de l’enquête sociale, qu’il devient, par l’analyse et par la recherche psychologique, l’histoire morale contemporaine, aujourd’hui que le roman s’est imposé les études et les devoirs de la