Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises. » Ces libertés et franchises, revendiquées par les deux frères dans leur préface de Germinie Lacerteux, Edmond de Goncourt les réclame encore, et « hautement et bravement » pour sa Fille Elisa, livre, dit-il, « austère et chaste » et qui ne vous propose qu’une « méditation triste. » Un roman triste, je l’accorde ; mais chaste ? Élisa en rougirait. Goncourt n’en recommande pas la lecture aux « jeunes demoiselles. » Mais écoutez-le : « Il m’a été impossible parfois de ne pas parler comme un médecin, comme un savant, comme un historien… » Mais pourquoi donc ? Vous n’êtes ni un historien, ni un savant, ni un médecin : vous êtes un romancier… C’est la même chose, du moment que le roman moderne est scientifique ! « Il serait vraiment injurieux pour nous, la jeune et sérieuse… » il y tient !… « sérieuse école du roman moderne, de nous défendre de penser, d’analyser, de décrire tout ce qu’il est permis aux autres de mettre dans un volume qui porte sur sa couverture : Étude ou tout autre intitulé grave… » Injurieux ? Tout bonnement on vous invite à ne pas vous improviser historien, savant, médecin. Vous-même, ne vous êtes pas cru le droit de laisser, dans votre roman de Germinie Lacerteux, le récit de l’opération césarienne, « trop vraie, » vous l’avez bien senti, non pour un livre de médecine, mais pour un roman. Vous l’avez très bien senti : ne faites pas semblant de croire que les auteurs de Germinie Lacerteux étaient médecins. L’auteur de Chérie, le voici : « le roman de Chérie a été écrit avec les recherches qu’on met à la composition d’un livre d’histoire… » Toujours la science ; l’historien succède au médecin : tous deux savants. Du reste, le médecin ne s’éloigne pas et, le cas échéant, vient en aide à l’historien, qui l’appelle en consultation.

Les Goncourt se piquent de donner à leurs romans « l’exactitude des sciences exactes et la vérité de l’histoire. » Est-ce là un bel idéal ? Sans doute ! Mais l’idéal du roman ? Pas du tout !

L’erreur des Goncourt, la voici. On lit, dans la préface de Germinie Lacerteux : « Le public aime les romans faux ; ce roman est un roman vrai… Il aime les petites œuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d’alcôves, les saletés érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des libraires : ce qu’il va lire est sévère et pur. Qu’il ne s’attende point à la photographie décolletée du plaisir : l’étude qui suit est la clinique de l’amour. » Eh bien ! je ne vais pas, contre les Goncourt, prendre la défense d’une littérature polissonne ; certes non ! Mais, si la polissonnerie est un exécrable moyen de divertir le lecteur, il y a d’autres