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était las, dégoûté, insupporté... » ou bien : « Les médicamentations coûteuses... » ou bien : « A peine s’il la sortait de loin en loin... » ou bien : « De petits yeux rapetisses et ravivés par un clignement de petite fille qui mouillait et allumait leur rire... » ou bien ; « Dans la chambre, en avançant, il semblait à Mlle de Varandeuil déranger un épouvantable tête-à-tête de la Maladie et de l’Ombre, où Germinie cherchait déjà dans la terreur de l’invisible l’aveuglement de la tombe et la nuit de la mort... « Il n’y a pas d’écriture artiste qui tienne ; et tout cela n’est qu’imprudence ou naïve ou prétentieuse.

Mais Edmond de Goncourt a perfectionné le goncourisme : il en a fait la chose du monde à la fois la plus désolante et la plus comique. Ses deux trouvailles principales et très voyantes sont le néologisme perpétuel et la substitution des mots abstraits à des mots concrets et qui vaudraient beaucoup mieux. Hélas ! même pour fabriquer des barbarismes, il a peu d’imagination : « la bouche soudeuse... les endormements... les enfermements... l’allumement des sens... les verrées de vin... », petites merveilles ! C’est par les mots abstraits qu’il obtient des effets qui l’ont sans doute le mieux enorgueilli. Trois pages de la Fille Elisa vous offrent ce bouquet de jolies phrases : « En le saisissement de ce mortel oui, du froid passe dans tous les dos... On aperçoit des gestes irréfléchis, errants, des mains boutonnant, sans y prendre garde, un habit sur les battements d’un cœur... L’accusée s’assied, s’agitant dans un dandinement perpétuel sur le grand banc... Un larmoiement intérieur lui fait la narine humide... Des paroles basses sont échangées sous des acquiescements de fronts pâles... La condamnée, se jetant en avant dans un élancement suprême, et la bouche tumultueuse de paroles qui s’étranglent... », etc. Voilà l’écriture artiste : le style d’écrivains mal doués et qui n’ont pas de résignation.

Ce qui me fâche est que l’auteur de Chérie, pour écrire ainsi, prétende se ranger sous l’autorité de Joubert, lequel engageait Chateaubriand à « chanter son propre ramage. » Or, Joubert eût détesté le ramage des Goncourt ; et leurs romans ? Voyez ce qu’il a dit des romans de l’anodine Mme Cottin, qui lui faisaient horreur, à moins de frais.


ANDRÉ BEAUNIER.