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Germinie Lacerteux ni la fille Élisa n’ont les nerfs en bon état. Chérie souffre d’une « délicatesse nerveuse toute particulière. » Chérie est, dans son élégance raffinée, aussi « rare » que sont « rares » dans leur ignominie Élisa et Germinie. Or, la maladie n’est pas moins « vraie » que la santé ? Non ; mais il faut que le médecin soit bien portant.

La science exige de qui la veut servir une certaine abnégation... Et l’on me dira : qu’importe ? Les Goncourt ne sont pas des savants ; jugez-les comme des romanciers... Mais non ! car c’est au nom de la Science et pour accomplir une besogne de savants qu’ils ont fourré dans leurs romans tout ce qui en est le caractère, à mon avis, le plus désagréable... Cette abnégation que la Science exige, les Goncourt l’avaient si peu qu’ils ne cessaient d’affirmer leur vive originalité, leur singularité même. Ils réclamaient le renom de savants et d’artistes et, parmi les artistes, le renom des plus étonnants écrivains que l’on connût.

Lisez la préface de Chérie : « Quoi ! nous les romanciers,... nous perdrions l’ambition d’avoir une langue rendant nos idées, nos sensations, nos figurations des hommes et des choses, d’une façon distincte de celui-ci ou de celui-là une langue personnelle, une langue portant notre signature, et nous descendrions à parler le langage omnibus des faits-divers !... » Les Goncourt, au XIXe siècle, époque de suffrage universel et de démocratie, ne s’adressent pas au peuple, mais à « ceux qui ont le goût le plus précieux, le plus raffiné de la prose française. » Il ne leur suffit pas de bien écrire ; et même, au sens que donnent à ce mot les grammairiens, ils s’en moquent : mais Us veulent écrire « personnellement. » C’est un parti pris... A mon avis, la vraie originalité du style, la meilleure et très bonne, est involontaire.

Et les Goncourt ont inventé, à leur usage qui malheureusement devint l’usage de leurs amis, de leurs élèves et d’un grand nombre de mauvais écrivains dénués de bonhomie autant que de grammaire, cet abominable galimatias, l’« écriture artiste, » comme ils l’appelaient.

Je crois que Jules de Goncourt était moins mauvais écrivain que son frère. En tout cas, Germinie Lacerteux est d’une langue moins saugrenue que la Fille Elisa ou Chérie. Médiocre, d’ailleurs, et fautive... Mais oui, fautive ; et ce n’est pas une raison parce qu’on a raillé « les ombres de MM. Noël et Chapsal, » pour qu’il soit excellent d’écrire : « Le père était parti au pays... » ou bien : « La laissant en tête à tête avec les volumes reliés en vélin blanc... » ou bien : « Le chatouillement et le soulagement d’un pansement... «ou bien : « Il en