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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/229

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dégrisée. Soudain l’énormité de son action lui apparaît. Elle aperçoit le danger auquel l’exposait sa folle imprudence. La hideur du personnel de « la fête » lui cause un immense dégoût et lui devient insupportable. Elle se sauve à toutes jambes.

Cette fin d’acte est délicieuse et vaut toute la pièce. Il a fallu aux deux écrivains un art consommé pour faire accepter ce revirement, une rare finesse de doigté pour faire évoluer le personnage sous nos yeux, et passer des notes vives de la dernière conversation de Brigitte et de Mongerey à la discrétion émue de son entretien avec Roger.

Après cela, que Brigitte finisse par épouser Roger, nous n’en doutons pas. Ce sera l’affaire du troisième acte, très bien mené. Une gaîté du meilleur aloi, toute sorte d’observations malicieuses et de fines réflexions sur le temps présent, font le charme et le prix de cette jolie comédie.

Le rôle de Brigitte a trouvé en Mlle Jeanne Marnac l’interprète à souhait, au point qu’on s’étonne que le rôle ne lui eût pas d’abord été destiné. Il est impossible d’y mettre plus de finesse et d’espièglerie, et d’être tour à tour, avec plus de justesse et de mesure, chacune des deux Brigitte, sans que l’une rende l’autre impossible. M. Raimu est un Mongerey d’un scepticisme bon enfant, qui plaît par sa cordialité. M. Pauley, dans le rôle de La Vignole, est d’une rondeur et d’une rotondité désopilantes. M. Luguet est un Roger sympathique. Et Mlle Dorny a dessiné de cette bonne bête de Léonie une silhouette des plus comiques.


Depuis si longtemps que M. Le Bargy a cessé de jouer à la Congédie-Française, où il n’a pas été remplacé, c’était une grande attraction de le revoir à la scène. Ce qui ajoutait au piquant de cette rentrée, c’est que M. Le Bargy reparaissait, à l’Odéon, dans une pièce dont il était l’auteur. Au seul point de vue du métier, il est toujours curieux d’étudier les pièces composées par les acteurs et d’y rechercher l’influence exercée par l’habitude de la scène. M. Le Bargy a été l’interprète de Paul Hervieu et de M. Henri Lavedan, — l’interprète incomparable et désigné par un décret nominatif de la Providence. Il était l’homme du monde dernier cri, d’une sécheresse éminemment distinguée, le Brummel moderne. Et il avait aussi succédé à son maître, l’inoubliable Delaunay, dans les rôles d’amoureux d’Alfred de Musset, créé les Romanesques de Rostand et repris le rôle de Cyrano dont il donnait, est-il besoin de le dire ? une interprétation qui ne ressemblait que de fort loin à celle de