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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/243

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ont gardé la possibilité d’avoir, même sans l’exprimer, une opinion.

Les Allemands, avec plus de réserve que les bolchévistes, sont aussi, jusqu’à présent, parmi ceux qui ont tiré bénéfice de la Conférence. Ils en rapportent une alliance et ne désespèrent pas de réaliser l’isolement politique de la France ; leur presse, bien que M. Rathenau lui prêche la discrétion, exulte. La publication de leur traité avec les Soviets ne leur a nui ni en Angleterre, ni en Italie, tout au moins auprès des Gouvernements. Il faut, pour comprendre leurs manœuvres, ne pas perdre de vue l’échéance du 31 mai, en vue de laquelle tout ce qui divise les Alliés leur apparaît comme un bon augure, déjà presque comme un triomphe.

M. Lloyd George s’apprête à dévoiler aux délégations de Gênes le grand dessein qu’il mûrit depuis longtemps et dont il espère la pacification définitive et le rétablissement de la vie économique ; il s’agit d’un pacte européen, d’un engagement solennel de toutes les Puissances de respecter la paix pendant dix ans. Il espère que ce laps de temps permettra à « l’esprit de paix » de se fortifier et de grandir jusqu’à devenir invincible. Il va sans dire que la France, n’ayant jamais eu la pensée d’attaquer personne, pas plus en 1914 qu’en 1922, appuiera, peut-être avec moins de confiance que M. Lloyd George, un projet inspiré par un esprit plus généreux que pratique ; elle ne s’y ralliera cependant qu’à certaines conditions. La première est que toute sanction militaire que la France, ou toute autre des Puissances victorieuses, avec ses Alliés ou seule, serait amenée à prendre à l’égard d’une Puissance vaincue, en vertu des traités de paix et conformément à leurs stipulations, ne saurait être considérée comme une agression, qu’au contraire, le fait de s’y opposer par les armes constituerait une agression. Le pacte universel proposé par M. Lloyd George ne saurait avoir de valeur que si toute agression a pour sanction immédiate la mobilisation automatique de toutes les forces, ou d’une proportion déterminée des forces, de tous les Étals signataires. Sans cette sanction, le pacte ne peut être qu’illusoire et d’ailleurs dangereux, puisqu’il entretiendrait une trompeuse sécurité et favoriserait la campagne des partis anti-militaristes. Il resterait entendu, conformément à l’accord de Boulogne, que la question du désarmement ne serait pas posée ; avec ou sans pacte, chaque État resterait juge des forces militaires qu’il estimerait indispensables à sa sécurité, à moins que les traités n’en aient autrement disposé ; il resterait juge aussi des alliances ou des accords particuliers qu’il croirait opportun de conclure.