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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/242

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avec la Russie et l’Allemagne, les Turcs d’Angora et toutes les forces de l’Asie centrale. Au service de cette conjonction redoutable apparaît l’armée rouge, avec 1 500 000 hommes sur pied, bien nourrie, entretenue, par un système raffiné d’espionnage et un savant mélange de mercenaires étrangers, dans sa ferveur révolutionnaire et dans son appétit de pillage, et, en outre, la propagande communiste qui partout se glisse et s’insinue. A la reconnaissance de leurs dettes d’avant-guerre, sans intérêts et sans paiements immédiats ou prévisibles, les Bolchévistes mettent pour condition l’abolition des dettes de guerre, la reconnaissance de jure et l’octroi de crédits. M. Lloyd George leur a par avance laissé entendre qu’ils obtiendraient bientôt satisfaction et qu’ils entreraient dans la Société des Nations.

Comment n’y entreraient-ils pas, en passant par-dessus les règles qui régissent l’admission des membres nouveaux, puisqu’ils sont admis déjà dans la Société des rois ? Le Dante Alighieri a vu, en vérité, un étrange spectacle, digne d’être buriné pour l’histoire : M. Tchitcherine, avec ses collègues, s’entretenant avec S. M. Victor-Emmanuel III, s’asseyant à sa table et choquant son verre à celui de l’archevêque de Gènes. La reconnaissance de jure et l’entrée dans la Société des Nations vaut bien une courbette. Gardons-nous de sourire : des hommes qui ont à ce degré l’esprit d’opportunisme et la souplesse de l’échiné sont redoutables. Qui pourrait dire si le lunch du Dante Alighieri est le premier pas vers l’« embourgeoisement » des chefs bolchévistes, ou vers la « bolchévisation » des démocraties occidentales ? Qui sait ? Peut-être l’un et l’autre.

Pour le moment, et pour longtemps encore, ni les attentions du roi d’Italie, ni les manœuvres subtiles de M. Lloyd George, ne sauraient empêcher qu’il n’y ait, en Europe, et dans le monde, deux camps, celui de la paix dans l’ordre, la justice et le respect des traités, et l’autre, celui de la révolution mondiale pour le triomphe du bolchévisme et la revanche de l’Allemagne. Et il arrive, par un singulier revirement de l’histoire, que la France se trouve, par sa victoire, à la tête du premier, tandis que la Russie, hier encore autocratique, est à la tête du second. Il faut choisir. On ne saurait indéfiniment, entre les deux, s’entremettre comme M. Schanzer, ou jongler, comme M. Lloyd George. Les incidents récents ont rangé aux côtés de la France tous ceux, États ou individus, que la conjonction germano-bolchéviste fait réfléchir et inquiète. Il y a, parmi ceux-là beaucoup d’Anglais et d’Italiens, plus d’Allemands aussi qu’on ne l’imagine et la grande majorité de ceux qui, parmi les Russes,