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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/391

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corps de cavalerie, une des dernières tentatives faites par les Allemands pour percer notre front. J’observerai seulement que le long séjour qu’il a fait en pays musulman, particulièrement au Maroc, ne fut pas une préparation inutile à la nouvelle mission qu’il est en train de remplir. Avec le sens critique très développé qui le caractérise, le général Pelle n’a pas eu grand peine à faire deux paris de son expérience marocaine : ce qu’il fallait retenir, et ce qu’il convenait d’oublier.

Je rencontrai pour la première fois Izzet pacha à un déjeuner intime, chez des amis communs. Grand et gros, une tête forte et bien construite supportée par de larges épaules, des yeux bleus très clairs, très francs, et parfois très doux, la moustache et les cheveux presque blancs, le maréchal m’apparut tout à fait différent des exemplaires de général turc que j’avais déjà rencontrés, et, pour tout dire d’un mot, le contraire d’un Oriental. Pourtant, à le regarder mieux, j’apercevais quelques détails qui pouvaient, à la rigueur, laisser deviner une origine albanaise. Son accueil affable et familier, son regard droit, sa manière de parler, douce et nette, puis quelques-uns de ses gestes à table éveillèrent en mon esprit, avec une étrange insistance, l’image et le souvenir du maréchal Joffre. Je note cette impression, pour l’avoir éprouvée à plusieurs reprises. Plusieurs fois, en effet, durant mon séjour à Constantinople, Izzet pacha me fit l’honneur de me recevoir et de s’entretenir avec moi. Je l’ai toujours trouvé prudent, réfléchi, modéré dans l’expression comme dans la pensée, et surtout pénétré du sentiment de sa responsabilité : patriote ardent, bon musulman, mais aussi, pourrais-je ajouter, bon Européen.

A la fin de juillet 1921, lorsque les Alliés semblaient craindre que les échecs subis par les nationalistes ne les contraignissent à accepter l’aide militaire des Bolchévistes et à ouvrir aux armées rouges les portes de l’Anatolie, je représentai au maréchal combien une telle décision serait désastreuse pour la Turquie, et comme il importait qu’elle fût conjurée à temps par des conseils amicaux, que Moustapha Kemal put accueillir en toute confiance. « Vous savez, me répondit-il, à quel point je hais les Bolchévistes. Je ne pense pas que Moustapha Komal les aime beaucoup plus que moi. Seule une nécessité cruelle, invincible, pourrait l’amener à leur ouvrir le chemin. Mais comment a-t-on laissé les choses en venir à ce point ? Pourquoi ne nous