Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douce des lampes voilées par le vélum orangé, pendant que les deux nègres et les trois mulâtres de l’orchestre te chanteront des chansons charmantes, ou bien uniront dans un bruit savant le piano, le saxophone, le violon, le tambour et le banjo. Beaucoup d’Américains et beaucoup d’Anglais viennent là se divertir, ainsi que des beautés professionnelles et françaises... et l’on ne fait pas de politique.

Tu iras aussi diner chez Ciros et danser chez Maurice, lequel s’exhibe lui-même sur un tapis noir en compagnie d’une délicieuse Léonora Hughes, avec laquelle il danse « un numéro. » De là tu passeras au Garron ; tu t’arrêteras à l’Abbaye, et quand tes camarades et toi aurez vraiment bu trop de Champagne, et serez suffisamment gris comme tous les fêtards qui se respectent, si j’ose dire, vous pourrez vous présenter au Capitole, où vous attendrez l’aube, les coudes sur une table sale, en mangeant de la soupe à l’oignon et du rumsteack, en face de tous les musiciens des jazz-bands et des orchestres qui viennent souper là exténués de musique et de bruit, de tous les nègres et les mulâtres, convives bizarres et sombres comme la nuit qui s’en va.

Tu iras aux courses sous la pluie voir triompher Harpocrate ; et à l’Opéra pour pester contre les courants d’air et les ouvreuses qui ne savent jamais où placer personne, et aussi pour entendre Boris Godounow et la ravissante Heure espagnole et voir Ida Rubinstein en Artémis. Tu fredonneras les air ? de Ta bouche, tu paraderas au Cercle interallié dans tous les dîners ou toutes les fêtes où l’on entend des chanteurs de l’Ukraine ou de la Patagonie. Tu verras au Casino de Paris Pearl White sans son ombre, — accaparée par l’écran, — et Dempsey aux poings ténébreux. Tu seras de tous les bals travestis : vénitiens, italiens ou créoles ; le dimanche tu joueras au golf après avoir entendu de la musique religieuse ou profane ; tu iras même à toute vitesse à la campagne pour fêter les premiers lilas ; et, enfin, morte de lassitude, tu permettras qu’on t’ensevelisse dans un châle espagnol, un de ces beaux châles aux fleurs éclatantes, qui furent cette année follement à la mode..., châles ondoyants qui tellement vous épousent et vous aiment que, lorsque vous êtes fatiguées, ils ont mal aux franges... On te roulera dans leurs plis, la joue sous un ananas brodé, les pieds entre un oiseau et une pivoine, et si