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et l’on pique à droite, à gauche, par curiosité. Maintenant que tous les plats sont là, elles s’accroupissent devant les invités, et elles rient, elles rient ; elles leur apprennent à tenir leurs baguettes, à tremper ceci dans cela : et elles parlent, elles parlent par signes ou à l’aide d’amis japonais qui savent le français : ainsi on apprend qu’elles s’appellent Pomme, Fleur de Prunier, Jade ou Plaisir de Vivre, qu’elles ont douze, quatorze ou quinze ans, que les Français ont les ongles longs et que c’est bien étonnant, qu’à Paris il y a de jolies femmes élégantes mais qu’elles ne savent pas où est la ville merveilleuse, qu’elles voudraient avoir plus tard trois ou quatre enfants, mais surtout des fils…

Et tout à coup, elles disparaissent en silence : deux joueuses de shamisen se sont accroupies dans le fond de la pièce et quatre de nos petites amies de tout à l’heure réapparaissent pour danser « le départ pour la promenade autour de la montagne ; » elles ont laissé pendre leurs kimonos au-dessous de la ceinture, en sorte que, serrés d’abord autour des jambes, ils s’étalent ensuite sur les nattes blondes, formant autour d’elles comme une base par laquelle elles semblent mieux reposer sur le sol : elles se détachent sur un paravent d’or mat.

Il fait sans doute encore froid autour de la montagne, car elles couvrent avec mille grâces leurs têtes de voiles légers ; puis les voilà parties à petits pas rythmés en promenade autour de la pièce, au long refrain antique des chanteuses : lô, iô, iôo… ; elles se rencontrent, se saluent, se sourient, se baissent avec le geste de cueillir une fleur et maintenant voici que le soleil doit avoir vaincu la première fraîcheur, elles ont ouvert leurs éventails et s’en éventent ; et quand c’est fini, elles se prosternent profondément et reviennent, dociles, verser le saké dans les coupes de poupées et apporter les bols de riz qui sont le signal de la fin du repas.

Alors, selon l’étiquette, le maître de maison vient s’asseoir devant chaque hôte : il remplit une coupe de la légère eau-de-vie japonaise et l’offre : l’invité la porte des deux mains à son front, la boit, la trempe dans un bol d’eau chaude et la tend, remplie, au maître de la maison qui la boit à son tour.

C’est tout ; maintenant, les petites geishas se précipitent pour aider à remettre les vêtements, les chaussures ; et longtemps, à la porte de la maison heureuse, elles s’inclinent avec des rires