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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/601

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des tons de reptile, et que çà et là par taches, elle verdit : glauques transparences, émouvantes dans du gris et du noir, et qui semblent les yeux de la mer menaçant par en-dessous...

Un de ces derniers matins, c’était un autre mode. En un quart d’heure, je l’ai vue s’évanouir dans le crachin d’automne, — la lente, flottante poussière d’eau qui semble tisser infiniment, sur les choses je ne sais quels suaires de silence. Cela nous a surpris au fond d’une anse où j’étais avec Corentin. Un à un, les rideaux de grise mousseline se sont mis à descendre. Tout s’embuait, s’effaçait. Les bois autour de nous n’étaient plus que deux rubans de molles, obscures nuées, un épaississement de l’universelle vapeur. Du plan si prochain de l’eau, on voyait monter une fumée froide, comme si sa substance était en train de se défaire. Et puis, la voile, elle aussi toute nébuleuse, irréelle, s’est mise à pendre. Rien ne respirait plus en ce monde limbaire. A l’arrière, avec sa longue rame, Corentin fantôme semblait conduire une barque des morts.


22 octobre. — Ce matin, tout revivait, au souffle du Noroît. Marée favorable ; pendant une longue journée, avec Corentin encore, j’ai pu goûter, pour la dernière fois sans doute cette année, tout ce qui m’enchante sur la rivière. Nous allions n’importe où, aussi loin que le flot voudrait nous porter. Nous ne voulions que tout revoir.

Temps chargé, au départ, mais l’épais rideau de nuages se déroule vite vers l’Océan. Tout le bas du long fiord frémit sous la brise qui rebrousse le courant : un hérissement gris glauque, fouetté de vives écumes, — un vrai, libre mouvement de mer dans cet ample espace, entre les forêts.

Nous montons en tirant des bords. Très vite, s’ouvrent, se ferment, fuient les écrans familiers, les promontoires sylvestres, dressés sur d’humides grèves.

Muette féerie dont je laisse mes yeux s’emplir, en écoutant Corentin conter ses histoires de pêche.

Plus haut, où les deux rives se rapprochent et montent (les grands pins par-dessus l’or des hêtres), la brise mollit. Il y a même une profonde crique où nul souffle ne pénètre, où nous entrons, attirés par le merveilleux miroir, — si vert, si plein d’un riche reflet de feuillage. De très vieux chênes, comme