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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/602

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ceux de Lanhuron, dont les bras allonges n’ont pu quitter la lumière de l’eau, la couvrent à demi. (C’est là par derrière, dans la tiédeur humide d’une combe, que se cachent les ténébreux et foisonnants bambous, les palmes, les lianes d’un Paradou merveilleux.)

Plus haut, où tout s’enferme de plus en plus, c’était presque le même calme. Penché à la lisse du bateau, je m’enchantais à regarder monter l’eau nouvelle. Elle est si pure en sa profondeur, si pure et si vivante ! Même en ces lieux abrités où elle semble, en glissant, dormir, si l’on plonge le regard dans l’ombre claire du bateau, on la devine toute tressaillante au dedans. Des brins de varech passent en sa transparence, et çà et là du côté du courant, il y a toujours des remous, des cercles d’un vert ou d’un bleu lourd, qui virent, tourbillonnent, se gonflent et s’élargissent en tâches vitreuses, trahissant l’animation intérieure, la puissante poussée qui se brise en dessous à quelque roche.

Comme on voit que c’est ici l’élément, l’eau planétaire, mère de la vie, dont le sel est tonique ! Rien que d’en cueillir au creux de la main (on s’étonne alors de voir trembler, incolore dans la paume, ce qui semblait teinture, pure couleur en dissolution), — rien que d’en porter quelques gouttes à ses lèvres, c’est une brusque sensation de fraîcheur amère et vivifiante. Mais en été, par les après-midi accablés, si l’on y jette son corps, comme on est tenté de le faire, en cette retraite où l’on n’est vu que des oiseaux, quel subit tressaillement de jeunesse affluente, quel retour à la source de vie où se défait le moi de souci et de fatigue, l’être personnel que les années ont développé, compliqué peu à peu !

D’un seul coup, ce moi s’est aboli. Hors du glauque, les yeux s’ouvrent éblouis : on n’est plus rien que rayonnement d’eau et de soleil, azur, ciel, fluidité, vierge et froide énergie qui participe à l’immortalité du monde. Il faut seulement se laisser porter, ne point nager, ne rien troubler, s’abandonner, avec les brins d’algues flottants, à la puissance qui soulève ici cette onde périodique de la mer. On tourne un peu la tête, on voit passer des rochers, des bruyères, de grands chênes anciens qui tendent leurs ramures gainées de mousse au-dessus des goémons. Et si c’est plus haut, du côté des Virecourt, où la rivière encaissée précipite en se repliant deux fois sa verte et