appartement parisien, remisa ses meubles et accepta l’hospitalité que M. et Mme de Colbert-Montboissier, alliés à sa famille, et puis leurs parents M. et Mme de Pisieux lui offraient dans leurs châteaux du Perche. Paisible, en apparence, il emportait avec lui tout un orage intérieur ; une fois de plus, à la veille de ses cinquante ans, il se sentait rejeté à l’incertitude, écrasé par la détresse financière. Des « billets à ordre, » munis de sa glorieuse signature, circulaient ça et là qui n’allaient point tarder à lui revenir : l’un entre autres l’engageait pour la somme de vingt-cinq mille francs qu’on serait en droit de lui réclamer au mois d’octobre ; et de ces vingt-cinq mille francs il ne possédait pas le premier sou. Que faire ? Maudire bien haut« l’ingratitude dont il est la victime [1] ; » jeter l’anathème à ces Bourbons dont il a aidé à relever le trône, et qui le réduisent à une extrémité de misère qu’il n’a pas connue sous l’« usurpateur ?... » Certes, et puis s’en aller très loin, hors de France, en Suisse, ou en Italie, pour y écrire de nouveaux et derniers chefs-d’œuvre. Il aura peut-être le courage de s’y résoudre, encore que la santé de Mme de Chateaubriand soit bien chancelante, encore que, le 28 mai, il ait dîné chez Mme de Staël à côté de Mme Récamier et qu’il ait senti s’éveiller dans son cœur pour la divine Juliette toutes les ardeurs mal éteintes qui consumèrent jadis le cœur de René. Mais quoi ! avant d’exécuter ce plan à la fois séduisant et douloureux, il faut payer ses dettes, il faut « conjurer cette tempête d’automne qui menace d’achever le naufrage [2] ; » bref, tous comptes faits, y compris les sommes nécessaires à la purgation des hypothèques de la Vallée-aux-Loups, il faut trouver au moins cent mille francs [3]...
Comment s’y prendre ? Chateaubriand convoque M. Le Moine avec qui, pendant ces deux dernières années, ses relations d’amitié se sont resserrées. Il s’adresse à son dévouement, lui confie ses pleins pouvoirs, le nomme « son délégué aux finances. » Pour lui, il en a « par-dessus la tête ! » M. Le Moine tentera de trouver un acquéreur pour la Vallée ; il ira voir les créanciers trop exigeants ou trop récalcitrants ; surtout il remuera ciel et terre pour dénicher un prêteur. Sur quoi. Chateaubriand part vers ses villégiatures ; pour se consoler du présent,