d’un respect que l’exemple de toute votre vie maintenait sacrées entre vous et nous. Mais la circonstance actuelle, bien loin d’accroître les distances, ne vous mêle-t-elle pas plus étroitement à votre famille d’élèves ? Est-ce qu’elle ne nous autorise pas à écarter les barrières ? Votre amitié pour nous se froissera-t-elle de connaître enfin la raison pressentie de la nôtre ?
Mon cher maître, puisque j’ai souvent discerné dans vos encouragements un autre sourire que celui de l’esprit, me permettrez-vous, à moi que vous vous plaisez à nommer votre disciple préféré, de répandre aujourd’hui un peu du secret de mon contentement ? Me blâmerez-vous, si, à la faveur de mon plus grand bonheur, j’ose écrire à l’auteur de si nombreuses, si fortes, si belles études sur les romans du moyen-âge et principalement sur Tristan et Yseut, que son triomphe d’hier me parait aussi chargé de sens intime que de sanctification publique ?
Toute votre vie a réalisé cette miraculeuse équation du caractère et de l’intelligence. L’un a été le collaborateur de l’autre. Alliance si rare, qu’elle doit être proclamée, si l’on veut vous comprendre.
Est-ce un choix de votre seul esprit qui a déterminé l’objet de vos travaux ? Vous avez apporté à la recherche scrupuleuse, je ne dis pas la simple conscience professionnelle, ni la simple vertu d’une intelligence aiguë, mais une piété passionnée, de source plus lointaine, qui tout ensemble échauffe et rafraîchit votre œuvre, et la hausse au-dessus des niveaux ordinaires. Il est constant que le public, et mainte fois à tort, égale les poètes aux figures de leurs poèmes. Dans ma pensée, dans celle de tous, même de ceux qui vous boudent, une identification semblable et toute justifiée ici, dont vous ne vous formaliserez pas, s’est faite entre vous et les héros que vous faisiez revivre. Car votre œuvre est un long poème. Car ces poèmes du moyen-âge ne semblent si beaux que parce que vous avez créé ou recréé leur beauté par votre flamme, — proposition qui paraîtrait hérétique, si vous ne fournissiez en même temps les assurances d’une exactitude aussi parfaite que possible dans l’état actuel de la science et accrue par vous au profit de tous. Vous dépassez la mesure habituelle du savant, grâce à une humanité supérieure qui vous dresse comme une tour émouvante et attirante aux regards de la plaine. Une tour est toujours solitaire au milieu d’une foule. Elle fournit aussi l’image d’une mystique