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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/747

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pensée. Or, la Constitution dit : « Le président de la République négocie et ratifie les traités. » Avouez, messieurs, que la fiction est un peu forte !

Je suis resté moi-même peu de temps à la présidence, assez longtemps toutefois pour m’apercevoir que si, sur une question essentielle, l’opinion du président n’est pas celle des ministres, même s’il a pour lui le ministre de la Guerre et les chefs de l’armée, il ne peut ni la faire prévaloir, ni même la faire connaître.

Ainsi, voilà un homme, qui, en des circonstances décisives, a été élu par les élus de la nation, qui est devenu le premier magistrat de la République, qui voit se tourner vers lui les regards et les espérances de tout un peuple ; il voit s’incliner devant lui les étendards troués par la mitraille, les épées d’hommes qui ont répandu leur sang sur tous les champs de bataille ; il compare ces suprêmes honneurs à ce que la loi lui met dans la main. Ah ! messieurs, à moins d’être une âme vulgaire, comment ne souffrirait-il pas d’un pareil contraste, comment ne serait-il pas saisi d’une indicible anxiété ?

Le mal est évident, personne ne peut le nier. C’est le remède qui est plus difficile à trouver.

Je ne demande pas, pour ma part, qu’on élargisse le corps électoral présidentiel ; mais ce qui est contraire à la raison, ce qui est à mes yeux un paradoxe insoutenable, c’est que le président de la République n’ait le droit de communiquer directement avec les Chambres que pour donner sa démission ; c’est qu’il ne puisse parler que pour mourir.

Oh ! j’entends l’objection : s’il a le droit de parler, il devient responsable, et un conflit est possible. Mais ce n’est pas le message qui créerait le conflit : il le ferait seulement connaître aux Chambres et leur permettrait de le résoudre. Si le conflit existe, pourquoi le tenir caché ? Et pourquoi l’opinion du président de la République doit-elle être d’avance sacrifiée à celle du président du Conseil ? C’est aux Chambres qu’il appartient de décider.

Rappellera-t-on la lettre du maréchal de Mac Mahon à Jules Simon ? Assimilation inexacte : l’acte du maréchal, parce qu’il n’était pas prévu par la Constitution, fut considéré comme une sorte de coup d’Etat parlementaire, tandis que l’intervention du président, inscrite dans la loi, serait l’exercice normal d’un droit. Il est à croire que le président ne parlerait, à ses risques et