nous a mis dans l’impossibilité de le défendre ! Ce n’est pas sa famille, ni sa Garde, ni sa cour, qui lui ont manqué : c’est lui qui a manqué à tout son peuple !...
Les émigrés français ne tenaient pas un autre langage en 1791 : ils jugeaient, eux aussi, que Louis XVI, ayant trahi la cause royale, ne devait s’en prendre qu’à lui-même de son infortune. Et son arrestation, après la fuite de Varennes, les affecta peu. Un aubergiste de Bruxelles disait à l’un d’eux, qui, par exception, se lamentait sur l’événement : « Consolez-vous, monsieur, cette arrestation n’est pas un si grand malheur. Ce matin, M. le Comte d’Artois avait bien l’air un peu attristé ; mais les autres messieurs qui étaient dans sa voiture semblaient très contents. »
Dimanche, 23 mars.
Je m’étais proposé d’offrir, ces jours-ci, un déjeuner au Gouvernement provisoire, afin d’entrer en rapports plus intimes avec lui et de lui donner un témoignage public de sympathie. Toutefois, avant de lancer mes invitations, j’ai cru sage de faire pressentir discrètement quelques ministres. Bien m’en a pris ! P..., qui s’était chargé de tâter le terrain, me répond aujourd’hui qu’on est fort touché de mon attention, mais qu’on craint de la voir mal interprétée dans les milieux extrêmes et qu’on me prie d’en différer la réalisation.
Ce détail suffirait à prouver combien le Gouvernement provisoire est timide vis-à-vis du Soviet, comme il redoute de se prononcer en faveur des Alliances et de la guerre !
D’ailleurs, à l’appel, tout vibrant de patriotisme, que les socialistes français ont adressé, le 18 mars, à leurs camarades russes, Kérensky vient de répondre par un télégramme qui, je l’espère, ne laissera plus à « la démocratie française » la moindre illusion sur la conception que « la démocratie russe » se fait de l’Alliance et de la guerre [1].
- ↑ Télégramme du ministre de la Justice de Russie, envoyé à Jules Guesde membre de la Chambre française des Députés, à Paris :
Je suis profondément touché du salut fraternel qu’avec les camarades Marcel Sembat et Albert Thomas vous m’avez adressé.
Nous n’avons jamais douté de l’entière sympathie et de l’appui moral que dans notre lutte, nous trouvons auprès du socialisme français.
Le peuple russe est libre. Grâce aux sacrifices faits par la classe ouvrière et par l’armée révolutionnaire, a été anéanti le tsarisme russe, qui, de tout temps, fut le rempart de la réaction universelle. C’est le peuple lui-même qui va maintenant édifier sa propre vie.
Saluant les efforts héroïques de la France républicaine et démocratique pour défendre le sol natal, dans la résolution unanime de mener la guerre jusqu’à une fin digne de la démocratie, les socialistes russes ont foi en la solidarité internationale des classes ouvrières pour triompher de l’impérialisme réactionnaire et violent et pour apporter avec elle la paix, si nécessaire au développement de la personnalité humaine.
A. KÉRENSKY,
Ministre de la Justice, vice-président
du Conseil des Députés ouvriers et soldats.