— Non.
— Es-tu prêt à le jurer sur la sainte icône de la Vierge et sur l’image de ta mère ?
— Oui.
Le grand-duc Paul lui a présenté alors une icône de la Vierge et un portrait de la grande-duchesse Alexandra défunte :
— Maintenant, jure-moi que tu n’as pas tué Raspoutine.
— Je le jure.
En me faisant ce récit, le Grand-Duc était vraiment touchant de noblesse, de candeur et de dignité. Il a terminé par ces mots :
— Je ne sais rien de plus du drame ; je n’ai rien voulu savoir de plus.
Pendant le retour en chemin de fer à Pétrograd, je cause avec Mme P... de tout ce que m’a dit le grand-duc Paul :
— Je suis beaucoup plus pessimiste encore que lui, me déclare-t-elle avec des yeux flamboyants. La tragédie qui se prépare ne sera pas seulement une crise dynastique, ce sera une révolution terrible et nous n’y échapperons plus... Rappelez-vous l’oracle que je viens de rendre : la catastrophe est proche.
Je lui cite alors l’effrayante prophétie que l’aveuglement de Louis XVI et de Marie-Antoinette inspirait à Mirabeau, dès le mois de septembre 1789 : « Tout est perdu. Le Roi et la Reine périront : la populace battra leurs cadavres ! »
Elle reprend :
Si nous avions au moins un Mirabeau !
Jeudi, 25 janvier.
Les serviteurs les plus dévoués du tsarisme et quelques-uns même de ceux qui forment la société habituelle des souverains commencent à s’effrayer de l’allure que prennent les événements.
Ainsi, j’apprends d’une source très sûre que l’amiral Nilow, aide de camp général de l’Empereur et l’un de ses familiers les plus intimes, a eu récemment le courage de lui montrer tout le danger de la situation : il est allé jusqu’à le supplier d’éloigner l’Impératrice, comme l’unique moyen qui reste encore de sauver l’Empire et la dynastie. Nicolas II, qui adore sa femme et qui est chevaleresque, a repoussé l’idée avec une indignation violente :
— L’Impératrice, a-t-il dit, est étrangère : elle n’a que moi