pour la protéger. En aucun cas, je ne l’abandonnerai... D’ailleurs, tout ce qu’on lui reproche est faux. On répand sur elle des calomnies abominables ; mais je saurai la faire respecter !...
L’intervention de l’amiral Nilow est d’autant plus frappante que, jusqu’à ces derniers temps, il prenait toujours le parti de l’Impératrice. Il était grand ami de Raspoutine et fort lié avec toute la bande : il assistait ponctuellement aux fameux dîners du mercredi chez le financier Manus : il a donc une large part de responsabilité dans la déconsidération et l’opprobre qui atteignent aujourd’hui la Cour impériale. Mais, au fond, c’est un brave homme et un patriote : il voit enfin l’abîme qui s’ouvre devant la Russie et il essaie, trop tard, de libérer sa conscience.
Vendredi. 26 janvier.
Le vieux prince S..., qui est un maître en occultisme, a eu, ces derniers soirs, la satisfaction d’évoquer le fantôme de Raspoutine.
Il a aussitôt convié le ministre de l’Intérieur, Protopopow, et le ministre de la Justice, Dobrowolsky, lesquels sont arrivés immédiatement. Depuis lors, chaque soir, tous les trois, ils restent enfermés durant des heures, à recueillir les paroles solennelles du trépassé.
Quel étrange personnage, ce vieux prince S... ! Taille voûtée, tête chauve, nez crochu, teint blafard, yeux aigus et hagards, visage creux, voix lente et caverneuse, air sinistre, — vrai type de nécromant.
Aux obsèques du comte Witte, il y a deux ans, on le vit contempler pendant quelques minutes la face hautaine du mort : car, selon le rite orthodoxe, le cercueil était découvert, puis on l’entendit prononcer, de sa voix sépulcrale : « Ce soir, nous te forcerons à venir !... »
Lundi, 29 janvier.
Les délégués de France, d’Angleterre et d’Italie à la conférence des Alliés sont arrivés ce matin à Pétrograd.
Ils n’ont mis que trois jours pour venir de Port-Romanow : leur train est le premier qui ait parcouru, d’un bout à l’autre, la ligne de la côte mourmane.