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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/924

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monte la première, et la mère la dernière ; on charge les meubles sur l’autre, couverts aussi d’un linceul fleuri, et l’on pose dessus l’édredon rouge, comme une jonchée de coquelicots, et sur lui l’oreiller, pareil à une touffe de pâquerettes. Et, en avant, — Hà ! Bouet ! Hà ! Marly ! — le char du lit en tête, en route pour le toit nouveau... La fiancée reste à la maison...

Elle rêve... Elle s’appelle... Rosamée, voulez-vous ? C’est son dernier après-midi de fille. Elle remonte sa vie. Une existence limpide, unie, d’un cours égal, coulant côte à côte avec le « temps » de celui qu’elle épouse, comme doux ruisselets des bois. Seulement l’un a surgi quelques années plus tôt. C’est pourquoi, lorsque, petite fille, elle allait à l’école ou en revenait, grand garçon déjà il l’accostait pour l’escorter, lui porter son panier, plein de vivres le matin et de commissions le soir, et leurs jeux avaient commencé là le long des routes, au bord des haies. Si l’on se hâtait l’hiver, à cause des mères qui venaient voir sur la côte, dans le vent ou la pluie, on musait à loisir quand la lumière s’emparait du monde. Au temps des fleurs, des cerises, des hannetons, il fouillait des buissons pour elle et secouait les arbres, et fleurs et fruits, chairs roses ou rouges, insectes au vol bourdonnant, il lui apportait tout avec des rires, et cet élan généreux des enfants. Et l’été, quand les arbres font de larges taches crues sur le sol, que l’ombre est douce à goûter sous les longs couchants qui flamboient, ils poursuivaient sur la route des parties de marelle sans fin, à la même place, au carrefour des chemins menant à leurs maisons, et poussaient du bout de leurs espadrilles des galets verts veinés de blanc, cachés derrière la borne kilométrique. Ou bien ils laissaient là leurs paquets, à l’abri de la grande pierre, et ils couraient voir les faucheurs coucher les blés, leurs pères ou leurs frères aînés, qui se balançaient au-dessus de la mer blonde, et ils buvaient un coup, à même le goulot, à la dame-jeanne posée pour les hommes dans le fossé du champ. Et puis les vacances arrivaient. Ils gardaient ensemble les bêtes, pendant que les grandes personnes battaient le blé. Les prés où ils erraient se trouvaient éloignés souvent. Mais il sifflait. Il s’était taillé un sifflet dans un rejet de peuplier, d’où il tirait un son aigu qui traversait les landes ou les bois. Elle poussait lentement son troupeau du côté de l’appel, et lui du côté où il l’avait jeté, et tout finissait par se rejoindre : les bestiaux, les chiens, les enfants. Déjà un attrait ingénu les