rapprochait. Enfin ils vendangeaient de compagnie. Le garçon s’emparait du lourd panier de bois, le charriait de souche en souche, et ils l’emplissaient joyeusement, et, quand une grappe leur paraissait plus sucrée, ils la picoraient ensemble, se délectant au même fruit capiteux...
Les années passèrent. Ils rentrèrent une dernière fois de l’école, un soir. Et, devenus jeunes gens, absorbés, elle par les soins du ménage, lui par ceux de la terre, ils ne se virent plus que peu : le dimanche à la messe, aux fêtes locales, à l’époque des grands travaux où l’on s’aide. Mais ils ne se regardaient plus comme autrefois. Lui surtout. Elle répandait trop de charme. Elle était fine, blonde, avec des yeux bleus, une peau de fleur ; elle avait une allure vive, rapide, élastique et féline : il brûlait d’envie de la saisir au passage, de l’enlacer. Elle restait silencieuse, et il était avide d’entendre d’elle les mots vivants.
Parfois il la chérissait seulement avec son cœur, parfois il la convoitait comme une proie. Elle, incertaine et entraînée, se sentait près de lui pleine d’hésitation et d’élan... L’été d’avant, un jour irradié, où l’air dansait, ils s’étaient rencontrés, tout seuls, au bord d’un bois. Ils y entrèrent. L’ombre était épaisse et tiède. Des fleurs, chargées de miel, embaumaient. Mille insectes élevaient une musique frémissante. Elle allait, les bras mi-nus, le col découvert dans la chemise de toile écrue, une faucille à la main, car elle cherchait des herbes. Ils suivaient un sentier longé par un ruisseau qu’un pont de bois, au bout, enjambait. Au tournant, il l’arrêta contre la rampe. Il dit : « Enfin ! » — il lui prit la taille. Elle laissa tomber l’outil, toujours muette. Il reprit : « Parle ! parle ! » — Elle leva les mains pour le contenir. Et, comme elle les conservait tendues, près de ses lèvres, il les baisa, et puis ses bras ronds, ses bras purs, ses bras frais, qu’elle tordait un peu, et puis son cou éclatant, ses joues, sa bouche pourpre, entr’ouverte par un souffle profond. Et il vit, durant ce baiser, ses yeux alanguis fuir, ses yeux voilés d’amour glisser sous les siens, entre les cils mi-clos... Elle murmurait : « Oh ! que me fais-tu faire ?... » Minute unique... Ils se quittèrent. Son pas agile l’emporta sans qu’il la suivit... Le lendemain, au jour, comme on marche à la victoire, il courut la demander. Et, le surlendemain, son père. Et ce fut oui. Elle avait retrouvé sa voix libre de petite fille... Maintenant, seule cet après-midi, redevenue silencieuse,