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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/936

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il aime à se faire appeler, va-t-il inaugurer une période classique, une période olympienne ? Sans doute, il a conscience du rôle que lui crée, dans l’état présent de son pays, sa dignité de maitre et de chef spirituel. Il n’y a personne en Allemagne qui ne croie revivre aujourd’hui la grande épreuve qui suivit la défaite d’Iéna. Ce qui domine cette histoire, c’est la figure du patriarche des lettres allemandes, qui fit rayonner sur l’Europe la majesté de son génie. Il n’est pas douteux que M. Hauptmann n’ait pensé à son tour à cette fonction auguste et nationale du poète. Il est toujours permis au poète de régner dans le monde de l’art et des formes parfaites et de servir sa patrie par le culte de la beauté.

« Commencez, Muses, un chant d’amour, un triste chant d’amour ! »

Et sans doute y a-t-il encore bien d’autres choses dans l’« idylle » de M. Hauptmann : des souvenirs personnels, des tableaux du pays natal, cette Silésie qui est désormais pour l’Allemagne une perte dont elle ne se console pas. Mais il y a surtout des traits qui rappellent à chaque instant la fameuse épopée de Gœthe : comme Hermann était le fils de l’aubergiste du Lion d’Or, les parents de Luz Holtmann tiennent l’auberge du Dragon. Et surtout l’héroïne, la belle Anna Wendland, comme jadis l’inconnue apparue sur la route, à la tête du chariot qui transportait les fugitifs, semblable à une princesse dans une condition servile, Anna se trouve placée dans une situation à demi domestique, celle d’« élève » ou d’» apprentie » dans la ferme des Schwarzkopp. Mais, pour donner le ton du poème, le plus court sera sans doute d’en traduire un morceau. Nous avons appris, dans les deux premiers chants, que Luz revient pour quelques jours chez son oncle Schwarzkopp, où il avait coutume de passer ses vacances avec son petit cousin Erwin, mort à la fleur de l’âge. Nous avons appris la présence de l’étrangère. Mais la voici paraître dans la cour de la ferme. Luz s’éprend d’elle au premier regard. Le poète poursuit :


Jeune, avec tes boucles d’Apollon, jamais on ne t’eût pris, mon cher Luz, pour un paysan silésien : mais plutôt, je le jure, pour le frère du dieu qui se cacha sous l’habit du pâtre chez Admète. Sans doute, nul prodige ne signala ta naissance : tu vins au monde comme tout le monde, pas même un dimanche, seulement peut-être un peu plus vite ; à peine ta bonne femme de mère eut-elle le temps