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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/937

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d’éprouver une petite douleur, et ce fut tout. Ce n’était du reste que l’excellente Mme Hanna, non du tout la céleste Latone, de même que, mon bel ami, ta patrie ne fut point la brillante Délos, mais le village de Salzborn, bien nommé en l’honneur de ses sources bienfaisantes. Là ton père gouvernait la célèbre auberge du Dragon, dont le toit ami abrita ton berceau de l’orage, de la pluie et des grêles malveillantes. D’où te vint cependant l’étincelle divine ? Pas de l’honnête bouillie avec laquelle on t’éleva, mais plutôt, j’imagine, du lait de ta nourrice, laquelle s’arrosait courageusement d’eau-de-vie, chaque fois qu’elle te donnait le sein : son bon ami était un nourrisson de Silène. Mais disons mieux : tes marraines, ce furent les nymphes de la source, que des artistes barbus construisirent en blocs sonores. Échauffé par les jeux bienheureux de l’enfance, tu buvais chaque jour à longs traits à son onde étoilée d’un sable étincelant. Et aussitôt, te ruant aux jeux, tu bondissais plus libre et te sentais aux pieds des ailes. Car cette source, prisonnière dans son petit hall dorique, n’était autre qu’une veine de la fontaine Castalie et de l’onde du Parnasse : on le voyait bien aux colonnes du péristyle grec, on le voyait aux lyres grecques des nymphes familières qui, dans leur route liquide, cheminant par les canaux souterrains de la terre, visitaient Salzborn et s’y plurent, et c’est de leurs mains que Luz but le nectar et l’ambroisie.


Vous rappelez-vous ces petits Parthénons de camelote, ces temples ou ces Propylées d’un « Louis seize » aimable et saugrenu, qu’on voit dans les villes d’eaux allemandes ou sur les places de Munich, comme des bibelots savants et des souvenirs de voyage sur la cheminée d’un Herr Professor ? Il arrive que l’art classique, même chez Goethe, sente le pastiche gréco-romain. Hermann et Dorothée n’échappe pas à ce léger travers, ne se sauve que par le sourire. L’humour de M. Gerhart Hauptmann parait d’une qualité moins fine. Les élégances ancien Régime, le style de l’Almanach des Muses, ne lui sont pas entièrement naturels. Il nous donne le pastiche d’un pastiche. On sent bien que le poète se joue, mais le jeu manque parfois de grâce. Ce n’est pas tout : comme dans l’Athènes du Nord, le pseudo-grec se marie au gothique troubadour. Dans le même endroit que je viens de citer, Anna devient une héroïne de la Tétralogie, une Gudrun ! Ailleurs, c’est une page sur le folk-lore des campagnes, sur le cheval blanc, qui est un présage funeste. Bref, le poète use, non sans péril, du double « merveilleux. » L’écueil du merveilleux, dans l’épopée moderne, c’est qu’il y entre à l’état de simple décoration. C’est son plus grand défaut,