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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/940

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jeunesse, dans un des coins de l’Allemagne qui ont reçu l’empreinte profonde de la pensée chrétienne, en ce qu’elle a de plus sombre et de plus désolant. Il a certainement connu des paysans mystiques du genre de l’oncle Schwarzkopp et de la tante Julie.

La petite ville de Herrnhunt, — la « Citadelle du Seigneur, » — dont le nom revient à plusieurs reprises dans le poème, est encore aujourd’hui une sorte de Rome rustique, une petite Sion, capitale d’une Eglise qui conserve des traits d’une originalité opiniâtre. Là subsistent les débris de la fameuse communauté des frères Moraves, qui eurent un rôle, à côté des Hussites, dans les mouvements confus qui précédèrent la Réforme, et dont l’influence s’étendit jusqu’en Lombardie et en Provence, avec les dangereuses rêveries vaudoises. Ne saurait-on reconnaître dans ces hérésies d’autrefois, un de ces périodiques accès des idées slaves, avec leur séduction étrange de destruction et de haine de la vie ? N’est-ce pas le typhus religieux qui souffle par intervalles des profondeurs de la Russie, avec son désespoir et son goût du néant ? On sera frappé, en lisant le poème d’Anna, de cette combinaison à base slave, qui s’est opérée sur les Marches orientales de l’Allemagne, et y produit des caractères assez inattendus.

Bien entendu, la teinte mystique, la couleur raskolnik ou « vieux croyant » que j’essaye d’indiquer, a pris, dans le petit monde silésien où nous sommes, une nuance assez modérée. Il n’en reste qu’une religion d’essence un peu chagrine, une sorte de mauvaise humeur et de sévérité qui se gendarme et se rebiffe contre la vie. Rien de plus éloigné de la note franciscaine, du christianisme des Fioretti. Les Schwarzkopp ont perdu la joie ; ils n’avaient qu’un enfant, ce petit Erwin dont j’ai dit un mot, enfant tardif, longtemps désiré, et qui est mort, en les laissant abimés de douteur. Cette mort, pour le vieux ménage inconsolable, est devenue, si je puis dire, le fond même de la vie. Ils ne peuvent s’empêcher de croire que le pauvre petit a été puni par le ciel de l’excès de bonheur que sa naissance avait causé. Ils en viennent à penser que la joie en elle-même est une chose défendue, tout au moins imprudente, un sentiment qui nous égare, usurpe sur les droits de l’Infini, et dont il sera demandé un compte rigoureux. Depuis la mort du petit, la pensée de ses parents ne quitte