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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/942

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enfant de quinze ans, un collégien s’est tué pour elle. Voilà le « malheur » d’Anna. Elle est la tentation, le charme mauvais de la vie, le pouvoir dangereux qui enchante les hommes pour leur perte, parce qu’elle a reçu en don le présent funeste et le « poison de la Beauté. »

Comment, au XXe siècle, se trouve-t-il encore un coin d’Europe où persiste la croyance aux « sorts », aux phénomènes de la u possession » ? Comment, dans une Allemagne si fière de sa culture, subsiste-t-il des restes de ces vieilles idées primitives sur la nature humaine ? Ces vestiges d’une psychologie et d’une religion barbares, ces explications démoniaques de phénomènes naturels, forment d’ailleurs une donnée morale et poétique, bien plus intéressante que les agréments classiques dont M. Gerhart Hauptmann a cru devoir l’embellir. Il avait là un « merveilleux » tiré du fond des âmes et tenant aux idées elles-mêmes des personnages. Rien de plus dramatique que la déformation des choses, à travers le prisme intellectuel d’une petite secte religieuse.

On avait là un « cas » de suggestion collective, où une jeune fille, cause d’un homicide involontaire, est soupçonnée par tout le monde d’incarner la puissance des Ténèbres, et finit par se tenir elle-même pour une créature maudite. M. Gerhart Hauptmann, qui connaît ce milieu, et y a puisé les principes de son anticléricalisme, était bien le poète qui pouvait exprimer ce qu’une telle aventure dégage de pitié. Cette humble histoire d’une enfant dévouée, devenue, parce qu’elle a le malheur d’être belle, victime de zélotes cruels et ignorants, complice elle-même de leurs excès, et obligée, à cause de la sottise humaine, de renoncer à l’appel de la nature et de l’amour, c’était quelque chose comme une nouvelle Fiancée de Corinthe, une variante, toujours tragique, du sacrifice d’Iphigénie :


Tantum relligio potuit suadere malorum.


Le thème immortel dessiné par le vers de Lucrèce, suffisait sans doute à fournir la matière d’un poème. Un artiste délicat s’en serait tenu là ; cette jeune fille effrayée de la vie, à qui un accident fortuit a donné le dégoût de l’amour, et qui se regarde avec terreur comme une criminelle, n’était-elle pas une héroïne assez originale ? N’y avait-il pas dans la mort du petit lycéen, tué par elle sans le savoir, de quoi tuer le bonheur et expliquer