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de lui : c’est à Kiev que j’appris tous les détails de sa fuite.

C’est à Kiev également que j’appris tous les détails du pillage de notre propriété. Ce n’était qu’un cas entre des centaines de mille : tous les instincts les plus brutaux du peuple avaient été éveillés par la Révolution ; les paysans avaient été excités contre les propriétaires fonciers, de qui pourtant ils n’avaient reçu que des marques de bonté, et avec lesquels ils avaient vécu en paix et amitié jusqu’à cette époque maudite et honteuse. Il m’est pénible d’en parler et, d’ailleurs, tout cela n’est que trop bien connu !

Jusqu’en 1919, époque à laquelle les « autorités du village » avaient apposé les scellés sur notre maison, tout était demeuré intact chez nous. C’est alors que ces mêmes paysans qui avaient été chargés de garder la maison en qualité de « commissaires » y avaient pénétré dans la nuit et avaient volé et pillé tout ce qu’ils pouvaient ; après quoi, ils y avaient mis le feu, et la maison avait été consumée par les flammes, avec tout ce qui restait encore de précieux. Mon foyer, qui m’était plus cher que tout autre endroit au monde, fut détruit par des gens qui n’avaient jamais été l’objet que de bons procédés de ma part : toutes les fermes, les magasins de blé, les étables à bœufs, furent démolies, pierre par pierre. C’était le triomphe de la civilisation prolétaire de la République paysanne et ouvrière. »

J’étais libre, après une année et demie de captivité ; mais qu’avais-je trouvé à mon retour à Kiev ? Que me restait-il ? J’avais perdu tout ce que je possédais : une propriété magnifique et remarquablement cultivée ; une maison superbe, remplie de meubles anciens, de tableaux et de porcelaines précieuses... tout cela avait disparu. La seule chose que j’eusse réussi à sauver était mes diamants, mais le lecteur verra plus loin que je finis par être obligée de m’en séparer aussi. Cependant toutes ces pertes matérielles m’étaient moins pénibles que la perte de mes illusions morales. Je pleurais mes sentiments d’amitié envers le peuple... tout était brisé et détruit à jamais !

Etant obligée de me cacher et de ne me montrer nulle part, je priai K. de me trouver un abri hors de la ville. Il se mit en campagne et découvrit bientôt une maison aux abords de Kiev, sur le « Sapiornoie Polé » (Champ des Sapeurs) où il n’y avait ni comité de maisons, ni contrôle d’aucune sorte, ce qui était